La liberté est-elle une illusion d’après A. Schopenhauer !
هل الحريّة وهم عند أرثر شوبنهاور”!
Loussaief Rhouma/Université de Monastir, Tunisie
لوصيّف رحّومة/جامعة المنستير، تونس
مقال منشور في مجلة جيل العلوم الانسانية والاجتماعية العدد 86 الصفحة 93.
ملخّص:
يبين أرثر شوبنهاور في كتابه :” بحث في الإرادة الحرّة” كيف أن الحريّة الأصليّة للإنسان تقوم أساسا على الإرادة الحرّة و على الوعي الأخلاقي أو الضمير. فيمكن للإنسان الذي يتمتع بالقدرة الجسدية والذهنية وعلى جميع الوسائل اللازمة، أن يحقق جميع أهدافه و شهواته. إلا أن هذه الأهداف و هذه الرغبات يمكن أن تؤدي إلى الإضرار بالأخر ا والى ارتكاب أعمال لا أخلاقية و لا مشروعة. فالتمكّن والمقدرة والسلطة سوف تؤدي كلّها إلى العنف والى الظلم والتمادي، إذا كانت إرادة الإنسان خاضعة لسلطة الشهوات والرغبات والنزعات الغريزية أو لسلطة الانفعالات.
تخضع إرادة الإنسان إلى قانون السببيّة ولا يمكن عموما أن تتملص من الأطر الاجتماعية والثقافية أو من المحددات الجينية والوراثية؛ فالإرادة تعبّر عن النزعات الغريزية أو أنها تترجم الطموح وحب التفوّق والسيطرة والتسلّط. إلاّ أن الإنسان يتمتع أيضا، بفضل الوعي الأخلاقي و بفضل الضمير الحي و روح المسؤولية والتبصّر، بالقدرة على التحكم في شهواته و رغباته و على توجيه إرادته بما يتوافق مع القيم الإنسانية والقواعد الأخلاقية المتعارف عليها.
يمكّن الوعي الأخلاقي، كما يبين ذلك شوبنهاور، الإنسان من تحرير إرادته من سلطة الأطر الثقافية والاجتماعية، ومن سلطة الدوافع الغريزيّة والنفسية .فالعقل، الذي هو ميزة إنسانية، هو بمثابة عقال للشهوات والنزعات الشريّرة ، والوعي الأخلاقي والضمير الحي هما بمثابة أداة وقوة ذالك العقال؛ فبفضل العقل والوعي يمكن للإنسان أن يتحرر من سلطة الحتمية والضرورة اللذان يحكمان العالم المادّي والحيواني. الكلمات المفتاحيّة: الإرادة- الإرادة الحرة- الحتمية- السببية- الضرورة- الوعي الأخلاقي – الحريّة.
Résumé :
Schopenhauer. A affirme le libre-arbitre et la conscience morale sont les éléments essentiels pour la vraie liberté chez l’être-humain.
En effet, l’homme peut, en jouissant de la liberté d’agir et de la force physique et mentale, poursuivre divers objectifs et satisfaire ses désirs et ses ambitions. Toutefois, ces désirs et ces volitions – qui sont contingents et fortuits ou qui sont multiples et incohérents- sont généralement déterminés par des impulsions psychiques et instinctives, ou par des conditionnements sociologiques, génétiques et émotionnels.
Donc, la volonté de l’homme obéit à la loi de la causalité et n’échappe pas au déterminisme social et psychologique et au conditionnement culturel et environnemental.
La volonté est l’expression des impulsions instinctives et héréditaires, ou elle est l’effet de l’ambition, l’émulation, l’envie, le caprice et la vanité, comme elle peut être déterminée par l’instinct de survie.
Ainsi, la liberté d’agir et la volonté humaine pouvaient mener l’homme à accomplir des préjudices et commettre des actes immoraux et abominables à l’autrui desquels il ne souhaiterait jamais être une victime un jour.
La liberté consciente et responsable, comme le démontre A. Schopenhauer, est liée au libre-arbitre et à la conscience morale. Grâce à la conscience morale qui est, peut-on prétendre, est un privilège de l’être-humain, l’homme peut arbitrer ses volitions et résister aux diverses impulsions et aux déterminations psychiques, sociologiques et émotionnelles. La conscience permet à l’homme de jouir de son libre-arbitre en s’échappant à la loi de la causalité et à la à la nécessité qui gouvernent le monde physique et les êtres-vivants.
Mots clés: La Liberté, La Volonté, Le Libre-arbitre, La Nécessité, La Causalité, La Conscience.
Introduction :
L’être humain est défini communément comme un être pensant, gratifié de la raison et d’intelligence ; par conséquent, il est un être libre, et sa liberté constitue dès lors une condition essentielle de l’existence de l’homme.
La liberté est une question très ancienne et controverse dont les penseurs et philosophes de tous les époques ont traité les étendues et les limites (Platon[1], les Stoïciens…), l’âge classique (Spinoza[2], Descartes…) jusqu’à nos jours. Le philosophe allemand, Arthur Schopenhauer, relie la liberté à la volonté, et il associe la volonté au libre-arbitre et à la conscience. Il affirme depuis le dix-neuvième siècle dans son œuvre « Essai sur le libre arbitre [3]», en évoquant les assertions des philosophes de l’antiquité, comme Cicéron et Aristote et, et celles des philosophes de l’âge classique comme Kant et Saint-augustin, que la volonté de l’homme est gouvernée par les lois de causalité et de la nécessité auxquelles obéissent tous les éléments du monde physique.
La progression des sciences comme la psychologie, la neurologie, et les nouvelles études psychosomatiques ont contribué aussi à la genèse des nouvelles approches de la liberté humaine[4]. La science a révélé que l’homme obéit dans sa conduite à des impulsions instinctives et à des penchants irrationnels qui ont été ignorés par les philosophes anciens et classiques. Et, ainsi, la liberté de l’être humain semble être de plus en plus contingente et illusoire.
L’approche de A. Schopenhauer nous permet de considérer, donc, les limites et les déterminations que la loi de nécessite et la causalité imposent à notre liberté, dont les nouvelles études psychanalytiques[5] et neuroscientifiques modernes attestent l’emprise sur notre conduite.
A titre d’exemple, l’expérience de Milgram[6] nous démontre que dans des circonstances particulières l’homme pourrait accomplir volontairement les actes les plus ignobles et grossiers qui sont contraires même à ses principes et à ses convictions
Pouvons-nous défendre encore la thèse selon laquelle l’homme est libre quand il est affranchi de toute force contraignante extérieure et de toute sorte de sujétion ! quand il est sous un gouvernement démocratique et représentatif ! quand il jouit de tous ses droits naturels et tous les droits sociaux et politiques ! L’homme échappe-t-il, aujourd’hui, avec le développement technologique et scientifique, aux lois de la causalité et de la nécessité !
En suivant la logique du philosophe allemand, nous définissons d’abord la notion du libre-arbitre et celle de la volonté, puis, nous démontrons comment l’homme est soumis aux lois de causalité et du principe de la nécessité.
Ensuite, nous apercevons l’implication de la conscience morale et de la liberté intellectuelle dans la préservation du libre-arbitre et de la responsabilité morale et juridique chez l’homme en tant qu’un être pensant doté de l’intelligence et de la raison.
Le libre-arbitre
En fait, l’étude de la liberté nous invite nécessairement à étudier la question du libre-arbitre ; le libre arbitre désigne l’autonomie ou la faculté d’arbitrer, sans sujétion et sans contrainte, nos actions en fonction de nos volitions, nos choix et nos besoins et en fonction des limitations existantes que soient-elles objectives ou infligées et arbitraires. Donc, le libre-arbitre est indissociable à la liberté dans le sens que nous ne pouvons pas prétendre être libre en l’absence de notre libre-arbitre et de notre liberté d’agir.
La liberté[7], en tant qu’une concrétisation et pratique du libre arbitre, est un droit naturel qui peut être abusé quand nous opprimons et subjuguons les autres, ou être violé quand nous subissons les actes d’injustice et de préjudice qu’autrui puisse commettre. Le libre arbitre ne peut exister qu’à l’existence, relative ou complète, de la liberté ; Autrement dit, l’homme peut arbitrer ses actions et contenir ses volitions quand il dispose de sa liberté d’agir au sens qu’il ne soit pas sous la contrainte et la sujétion. L’homme peut gérer sa conduite en fonction des règles de justes conduites et en suivant ses propres principes et ses valeurs morales.
Dans une situation particulière, où l’homme subit des contraintes et envisages des limitations à ses actions, il continue à exercer son libre arbitre en choisissant de réagir d’une certaine manière et d’accomplir une action particulière que sa volonté lui suggère.
Face aux circonstances et conjonctures défavorables que l’homme envisage dans son milieu social et dans son environnement, il ne reste pas passif mais il résiste et il cherche à réconcilier ses volitions aves ces limitations ; même si la liberté d’agir est limitée par les normes et les usages du cadre social et même si’ il est impuissant face aux forces de la nature, l’homme est propulsé par l’instinct de survie, par la tendance persistante à la liberté et à l’autonomie, par ses ambitions et par sa vision progressiste [8]: l’histoire de toutes les civilisions que l’homme a bâti témoigne sa tendance persistante à l’émancipation et à la perfection en procurant des libertés individuelles et des droits privés, et en asservissant les forces de la natures à ses besoins et ses intérêts.
Face à un danger quelconque, par exemple, un homme peut choisir de fuir ou d’envisager et affronter ce danger, Sa liberté est limitée, mais il dispose encore d’une liberté d’agir qui lui permet de réagir efficacement sans encourir des risques motels. Dans le cadre social, aussi, l’homme est gouverné par des règles et des normes qui réglementent ses actions, mais il continue de poursuivre ses objectifs et de satisfaire ses désirs par des opérations d’adaptation et de contournement.
Donc, même si la liberté physique est limitée, l’homme ne serait généralement pas privé de sa liberté d’agir et de son libre-arbitre ; dans une situation défavorable, l’homme peut réagir en examinant les choix et les possibilités existantes qui lui sont offerts. Son action serait donc le résultat de sa décision, son discernement et de sa détermination à atteindre son objectif
La liberté physique, en tant que disposition à agir et de réagir dans les différentes situations, implique le libre-arbitre qui nécessite aussi une liberté intellectuelle et une liberté morale ; face aux limitations objectives et contraintes de sa liberté, l’homme continue de poursuivre ses propres fins et s’engage à satisfaire ses besoins et ses désirs malgré sa déficience physique et malgré les prohibitions et exigences de la société, et grâce à l’expérience et à l’apprentissage.
L’homme a développé les arts et a accumulé et enrichit ses connaissances ; il a établi des ordres sociaux évolués et des marchés étendus et interconnectés. Il a remédié ses faiblesses physiques par les arts et la technologie ; il a maitrisé les forces de la nature et apprivoisé son milieu naturel et social. L’homme a, aussi, édifié les législations et les constitutions qui ont procuré des droits et des libertés aux individus et groupes sociaux.
Donc, l’homme a développé progressivement sa liberté intellectuelle et sa liberté morale qui lui ont permis d’échapper à son état sauvage et développer les arts et l’industrie ; les limitations objectives et les forces contraignantes que l’homme envisage, au cours de la poursuite de ses objectifs, ne l’ont pas empêché des trouver des alternatives ou d’éradiquer les difficultés qu’il envisage.
Ici, nous pouvons affirmer que la liberté intellectuelle, que l’homme a développée à travers des étapes historiques, est acquise grâce au libre-arbitre et à sa tendance à la connaissance et à la perfection; en vue d’atteindre ses objectifs, et d’assouvir ses désirs et ses ambitions, l’homme s’implique dans un processus d’essai et d’erreur [9] et d’apprentissage, poussé par ses ambitions et sa détermination d’atteindre les fins à lesquelles il aspire.
Schopenhauer. A démontré, par exemple, que l’homme, en poursuivant ses objectifs peut résister à des motifs instinctifs puissants, affirmant ainsi son pouvoir d’exercer son libre-arbitre ; « un motif, au contraire, n’est jamais irrésistible en lui-même, et ne saurait être doué d’une force absolue. On conçoit, en effet, qu’il soit toujours possible de le contrebalancer par un motif opposé plus fort, pourvu qu’un pareil motif soit disponible, et que l’individu en question puisse être déterminé par lui. Pour preuves, ne voyons-nous pas que le plus puissant de tous les motifs dans l’ordre naturel, l’amour inné de la vie, paraît dans certains cas inférieur à d’autres, comme cela a lieu dans le suicide, ainsi que dans les exemples de dévouements, de sacrifices, ou d’attachements inébranlables à des opinions, etc.[10] »
En éprouvant des besoins et désirs divers, l’homme exerce, donc, son libre-arbitre en résistant à certains motifs et mobiles et en contournant les contraintes et conditionnements multiples qu’il envisage et en défiant les situations défavorables (économiques, sociales, physiologiques …). La limitation de sa liberté ne l’empêche pas de pratiquer sa liberté d’agir pour changer sa réalité et transformer son milieu.
Le libre-arbitre est, alors, une force motrice de la conduite humaine selon laquelle l’homme choisit les objectifs à poursuivre et les désirs et besoins à satisfaire. Nous exerçons notre libre-arbitre en se référant à des principes et des valeurs comme le principe de l’altruisme, de la philanthropie, et de justice. Par conséquent, nous éprouvons d’abord le désir d’acquérir un objet ou de satisfaire un besoin, nous convoquons notre libre-arbitre pour décider si ce que nous voulons est permis , si l’objet désiré est nécessaire ou non et si les actions exigées pour atteindre notre but sont légales et justifiées ou non. En concédant à nos valeurs et principes, nous résistons à un désir que nous jugeons défendu et nous nous retenons d’accomplir certaines actions que nous jugeons injustes et illégales.
La volonté
Comme le démontre Schopenhauer. A la volonté relie l’homme au monde extérieur au sens qu’il agit dans son environnement en fonction de ce que sa volonté lui suggère ; « Or, les objets dont nous prenons connaissance au dehors sont la matière même et l’occasion de tous les mouvements et actes de la volonté. On ne reprochera pas à ces mots de renfermer une pétition de principe : car que notre volonté ait toujours pour objet de choses extérieures vers lesquelles elle se porte, autour desquelles elle gravite, et qui la poussent, au moins en tant que motifs, vers une détermination quelconque, c’est ce que personne ne peut mettre en doute. Soustrait à cette influence l’homme ne conserverait plus qu’une volonté complètement isolée du monde extérieur, et emprisonnée dans le sombre intérieur de la conscience individuelle.[11]
En obéissant à sa volonté, l’homme, agit, donc, dans le monde par des actions qu’il accomplit en vue de réaliser ses objectifs et satisfaire ses désirs ; comme le démontre Schopenhauer, une volonté est nécessairement, un désir d’un objet ou une tendance à une situation particulière qui se trouvent dans le monde extérieur.
L’homme a maitrisé son environnement, a apprivoisé les forces de la nature et a perfectionné ses conditions de vie grâce à cette volonté incessante d’acquérir l’autonomie et d’affirmer sa domination sur son environnement. Propulsé par sa volonté de survie et de progression qui engage tous ses dispositions intellectuelles et physiques, l’homme a changé le monde ; il a exploré les terres et les mers lointaines, il a développé les arts qui ont perfectionné les conditions de sa vie et qui lui ont permis d’assujettir les forces de la nature à ses besoins et à ses fins.
Grâce aussi à la volonté d’acquérir plus de libertés et de faire régner la justice, l’homme a, aussi, établit les lois et les législations qui peuvent conserver les libertés individuelles acquises et permettre aux individus de poursuivre leurs intérêts et leurs objectifs sans se confronter à des interdictions arbitraires ou subir des préjudices. Et l’homme a graduellement échappé à la nécessité des lois physique en éprouvant constamment une volonté d’émancipation, de survie et de perfection.
La volonté constitue, donc, une force motrice ou un élan vital qui pousse les hommes à agir dans le monde extérieur, à apprivoiser son environnement, et à change sa réalité. Cependant, Schopenhauer démontre que la volonté comprend aussi des penchants destructeurs et des envies égoïstes et préjudiciables ; « Tous ceux en effet qui savent distinguer, malgré les différences dans le degré et dans la manière d’être, les caractères essentiels des choses, ne feront aucune difficultés pour reconnaître que tout fait psychologique, désir, souhait, espérance, amour, joie, etc., ainsi que les sentiments opposés, tels que la haine, la crainte, la colère, la tristesse, etc., en un mot toutes les affections et toutes les passions, doivent être comptées parmi les manifestations de la volonté […] Ce sont donc, bien des affections multiples de la même volonté , dont la force active se manifeste dans nos résolutions dans nos actes. »[12]
La nécessité
Schopenhauer affirme que l’homme réalise son être et accomplit son existence par le vouloir, cependant il démontre que la volonté même est déterminée, par la nécessité logique et causale qui gouverne le monde physique : Il se demande ; ‘le vouloir lui-même est-il libre ?’[13]
Puisque l’homme appartient au monde physique qui est régit par des lois solides, Schopenhauer démontre que son vouloir n’échappe pas aussi à ces lois, et que sa volonté n’est pas libre parce qu’elle se rapporte à des motifs et des affections causés par le monde extérieur et parce que l’homme répond, dans sa poursuite de ses objectifs et intérêts, à des stimulus et des mobiles qui existent dans la monde extérieur; « Une volonté libre, avons-nous dit serait une volonté qui ne serait déterminée par aucun raison, c’est-dire par rien, puisque toute chose qui en détermine une autre est une raison ou une cause ; une volonté, dont les manifestations individuelles (volitions), jailliraient au hasard et sans sollicitation aucune, indépendante de tout liaison causale et de toute règle logique. En présence d’une pareille notion, la clarté même nous fait défaut, parce que le principe de raison suffisante, qui, sous tous les aspects qu’il revêt, est la forme essentielle de notre entendement, doit être répudié ici, si nous voulons nous élever à l’idée de la liberté absolue. [14]»
En fait, nos volitions et nos désirs sont induits par des motifs et des impulsions inconscientes et irrationnelles qui sont, à leur tour, produites suite à l’interaction de notre organisme biologique et notre dispositif psychologique avec notre cadre social et notre environnement : l’homme se trouve, initialement, dans des situations particulières menées par des circonstances et conjonctures objectives ; et en se référant à sa perception de ces circonstances, il s’implique dans des actions qu’il juge nécessaires à la poursuite de ses objectifs.
Les désirs et volitions que nous éprouvons sont suscités conjointement par des impulsions instinctives et psychologiques et par des facteurs extérieurs (sociaux, naturels, économiques…) : le monde extérieur, constitué par le milieu géographique, le cadre social et toutes les circonstances vécues, détermine notre état psychologique et mental et mènent même nos dispositions intellectuelles émotionnelles.
Et en suivant le raisonnement de Schopenhauer[15], nous constatons que la volonté de l’homme obéit aussi à la loi de causalité qui règne le monde physique ; chaque désir est, donc, causé par un ensemble de mobiles, et ces mobiles sont déterminés par des impulsions irrationnelles, par l’état psychologie et physiologique et par les valeurs et les mœurs que nous adoptons.
Nous sommes amenés à reconnaitre qu’il n’y a pas une volonté libre chez les hommes, mais il existe une volonté nécessaire et logique au sens qu’elle soit déterminée par des raisons et des motifs[16]. Cependant, loin d’affirmer que la liberté d’agir n’existe pas chez l’homme et que la volonté n’est que la traduction des impératifs biologiques, psychiques et sociaux, nous nous demandons, avec Schopenhauer, quel est l’étendue du pouvoir de vouloir et de la liberté d’agir que l’homme peut disposer ! ou autrement dit, à quel point l’homme peut jouir d’une liberté d’agir dans un état socioéconomique et politique général, qui est gouverné par la nécessité et la causalité[17] ?
La conscience
La conscience, comme la définit Schopenhauer, est ; ” la perception (directe et immédiate) du moi, par opposition à la perception des objets extérieurs, qui est l’objet de la faculté dite perception extérieure. Cette dernière faculté, avant même que les objets extérieurs viennent se présenter à elle, contient certaines formes nécessaires [à priori] de la connaissance, qui sont par suite autant de conditions de l’existence objectives des choses, c’est-à-dire de leur existence pour nous en tant qu’objets extérieurs : telles sont, comme on sait, le temps, la causalité.[18]“
La conscience de l’homme est confrontée à des affections et passions multiples ainsi qu’à des motifs et mobiles divers ; en se référant à sa conscience l’homme choisit, dans une situation particulière, d’obéir à sa volonté, de poursuivre une conduite particulière et d’exécuter une action parmi celles qui lui sont offertes. ” Ce sont donc, dit Schopenhauer, bien des affections multiples de la même volonté, dont la force active se manifeste dans nos résolutions et dans nos actes. On doit même ajouter à la précédente énumération les sentiments du plaisir et de la douleur : car, malgré la grande diversité sous laquelle ils nous apparaissent, on peut toujours les ramener à des affections relatives au désir ou à l’aversion, c’est-à-dire à la volonté prenant conscience d’elle-même en tant qu’elle est satisfaite ou non satisfaite, entravée ou libre.[19]“
L’homme invite sa conscience morale pour arbitrer ses affections et ses volitions : Il confirme sa volonté de satisfaire un désir quelconque ou poursuivre un objectif particulier en se référant aux jugements de sa conscience ; et il peut résister à un désir, suscité par un motif d’envie, de haine ou de rage, que sa conscience morale juge immoral ou illégal[20]
En effet, nous faisons intervenir nos principes d’éthique et nos valeurs morales quand nous éprouvons un désir quelconque ou quand nous prétendons à un objectif particulier. Et c’est ainsi que l’homme exerce sa liberté intellectuelle pour faire fonctionner sa conscience ; et en se référant à ces principes que la conscience décrète à la volonté ce qu’elle doit prétendre.
Nous devons admettre ici que l’homme développe sa la liberté intellectuelle par l’acquisition des connaissances et par l’enrichissement de ses expériences : le savoir et l’éducation sont essentiels pour élaborer une liberté individuelle responsable et équilibrée. Une liberté intellectuelle et une conscience morale développée contribuent à l’épanouissement de l’individualité par le fait qu’elles aident les hommes à s’émanciper des déterminations sociales, biologiques et psychologiques, et à arbitrer leurs affections et désirs suivant les valeurs de la justice, loyauté et équité et non en fonction de causalité et de nécessité
Les motifs et les mobiles déterminent nos volitions, mais, ils ne constituent, cependant, pas aucune contrainte absolue car chaque motif ne peut nous amener à exécuter un acte quelconque que si notre volonté le permet ; nous pouvons éprouver la volonté ou le désir de faire certaine action, et cette volonté est nécessairement produite par des motifs particuliers dont nous ne connaissons pas la nature et l’origine, mais, l’homme peut résister à ses volitions et arbitrer ses actions en fonction de sa liberté d’agir et ses choix et en fonction de sa conscience morale et éthique.
A l’absence de toute contrainte et obstacle, l’homme peut faire ce qu’il prétend vouloir faire, il peut ne pas faire ce qui est à sa portée pour des raisons morales et philanthropiques par exemple ; c’est ainsi que dans une même situation particulière, les raisons de choisir de faire un acte particulier, varient chez les individus en fonction de leurs convictions et de leurs principes.
Même si la volonté, par laquelle se manifestent les résolutions et se définissent les actes, est déterminée par un ensemble de motifs et mobiles particuliers (psychiques, moraux, religieux…), elle suit, néanmoins, la conscience morale de l’individu, en tant qu’un être pensant, car c’est la conscience qui détermine ce que l’homme doit faire dans à une situation particulière ; ce qui est susceptible de préserver la responsabilité, la compétence et le mérite des hommes à l’égard des actions qu’ils mènent.
L’homme peut désirer d’acquérir un objet ou de faire un acte particulier en vue de satisfaire à une impulsion ou un besoin quelconque, mais sa propre conscience intervient pour lui encourager ou de lui détourner de suivre sa volition pare qu’elle contredit ses principes moraux, ses prédispositions et ses convictions, ou parce qu’elle est défendue par les normes et les mœurs de la société.
Tandis que la volonté de l’homme obéisse à la loi de la causalité et au déterminisme sociologique, économique et psychique, la conscience est la faculté qui préserve sa liberté d’agir et qui détermine son choix entre deux, ou plusieurs, volitions qui se rapportent au même objet : Nous éprouvons souvent la volonté et le désir de faire un acte particulier qui satisferait à un besoin ou à une aspiration, mais notre conscience nous interdit de faire cet acte parce qu’il ne convient pas à nos principes, nos valeurs morales ou à nos intérêts.
A titre d’exemple, un homme qui a très faim choisit de ne pas voler malgré qu’il soit capable de le faire ; ce choix de ne pas voler et de résister à sa faim est déterminé par ce qui lui imprime sa conscience morale et religieuse. C’est ainsi que l’homme demeure responsable de ses actes dans la mesure où il dispose de sa liberté de choix et où il jouit de ses facultés cognitives et ses capacités sensorielles[21].
La conscience intérieure est le privilège de l’homme en tant qu’un être pensant gratifié du bon sens et de l’intelligence, elle préserve la responsabilité morale, éthique et juridique de l’homme de toutes ses actes aussi longtemps qu’il jouisse de la liberté de choix et de la force physique et intellectuelle ;; « il existe, affirme-t-il Schopenhauer ,en effet, une autre vérité de fait attestée par la conscience, que j’ai complètement laissée de côté jusqu’ici pour ne pas interrompre le cours de notre étude. Cette vérité consiste dans le sentiment parfaitement sûr de notre responsabilité morale, de l’imputabilité de nos actes à nous-mêmes, sentiment qui repose sur cette conviction inébranlable, que nous sommes nous-mêmes les auteurs de nos actions. Grâce à cette conviction intime, il ne vient à l’esprit de personne, pas même de celui qui est pleinement persuadé de la nécessité de l’enchainement causal de nos actes, d’alléguer cette nécessité pour se disculper de quelque écart, et de rejeter sa propre faute de lui-même sur les motifs, bien qu’il soit établi que par leur entrée en jeu l’action dût se produire d’une façon inévitable[22] ».
Il faut mentionner que la conscience morale des individus s’évolue par l’éducation et par l’acquisition des connaissances, par l’accumulation des expériences et l’apprentissage : Une conscience morale développée est le résultat d’une personnalité épanouie de connaissance, d’équité et de clairvoyance. Les hommes Bâtissent leurs individualités en jouissant de leurs libertés et droits privés, mais aussi, en développant une conscience morale dégagée des encadrements socioculturels et des impulsions instinctives irraisonnés.
Conclusion :
Grâce à la croissance des arts et au développement des connaissances, l’homme a assujettit les éléments de la natures à ses besoins et ses intérêts, et il a édifié les constitutions et les législations qui préservent les libertés individuelles et les droits (privés et publics) : par conséquence, les individus mènent une vie aisée et confortable et ils poursuivent des objectifs multiples et variés dont les acquis technologiques ont rendu la réalisation possible. L’homme a progressivement échappé aux lois de la nécessité, et il a défié ses propres déficiences et a contrecarré les éléments de la nature. L’homme a changé sa réalité et a transformé le monde en mettant sa liberté d’agir au service de ses volitions et ses fins ; il s’achemine, grâce à la progression des sciences et de la technologie, vers l’autonomie et vers une liberté absolue.
Propulsé par la tendance à la liberté, à l’autonomie et la justice, l’homme a établi des sociétés libérales gouvernée par des législations équitables qui préservent les droits privés et défendent la dignité humaine ; l’homme s’est libéré de l’autorité religieuse et s’affranchit de la contrainte des normes et des habitudes que lui impose l’ordre social et culturel.
Toutefois, faudrait-il signaler ici, que la révolution technologique moderne, l’industrialisation de tous les moyens de productions et la disparition des arts traditionnelles ont brisé les liens ontologiques et affectifs de l’homme avec son milieu naturel et social et avec son environnement écologique ; l’homme est devenu, désormais, gouverné par des motifs égocentriques et égotiste. Et, gouverné par des instincts destructeurs et dominateurs qui ont prévalus l’empathie, la philanthropie et l’affection, l’homme s’enchaîne dans des conduites déraisonnables et autodestructrices : l’homme détériore les ressources naturelles, il endommage largement la biodiversité et ravage l’écosystème. Le développement technologique et industriel a mené les hommes dans une poursuite effrénée et déraisonnable des intérêts insatiables, et les a menés à accomplir des actes déraisonnables qui transgressent tous les principes d’équité, de modération et de justesse.
Néanmoins, dans nos sociétés modernes où règnent l’individualisme et l’utilitarisme qui effritent nos liens sociaux et qui nous poussent à mener des conduites déraisonnables et inéquitables, la conscience morale ne cesse de s’élever chez les individus et l’appel à la conservation de la nature et la protection des animaux, par exemple, ne cesse de s’accroître ; la réconciliation de l’homme avec lui-même et avec la nature est toujours réalisable avec le réveil de la conscience et la renonciation progressive des individus aux ambitions égocentriques et aux penchants de cupidité et d’avidité.
Bibliographie
- A, Essai sur le libre arbitre, Ancienne librairie Germer Baillière et Cie, Félix Alacan. Editeur, Paris. 1894, Sixième édition, Traduit en français pour la première fois et annoté par Salomon Reinach.
- Platon, Gorgias ou sur la rhétorique, Editions Garnier-Flammarion, Paris.1967, Traduction, notice et notes d’Émile CHAMBRY (1864 – 1938).
- Spinoza, L’éthique, Éditions d’art Edouard Pelletan, 1930, à Paris. Paris : Les Éditions Ivrea, 1993, Traduction d’Armand Guérinot [1872]. 1er édition.
- B, La science et le vivant ; philosophie des sciences et modernité critique, De Boeck supérieur s.a., 2014, 2e édition revue et augmentée .
- Liberté et Cerveau, quelle liberté à l’heure des neuro-sciences ?, Association des scientifiques chrétiens, édition Parole et Silence, Avril.2015.
- Milgram Stanley, La soumission à l’autorité : un point de vue expérimental, Calmann-Lévy, collection : liberté de l’esprit, 1994.
- Milgram Stanley, Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité, La Découverte, Hors collection Zones, 2013.
- Fabien Blanchot, Paris Dauphine université, https://www.researchgate.net/publication/4797402_La_Connaissance_Objective_de_Karl_Poppe-rprincipales_theses_et_apports_pour_les_recherches_en_gestion.
- Lorenz Konrad, Popper Karl, L’avenir est ouvert, Flammarion, Champs science.
[1] ; Platon, Gorgias ou sur la rhétorique, Editions Garnier-Flammarion, Paris.1967, Traduction, notice et notes d’Émile CHAMBRY (1864 – 1938)
[2] ; Spinoza, L’éthique, Éditions d’art Edouard Pelletan, 1930, à Paris. Paris : Les Éditions Ivrea, 1993, Traduction d’Armand Guérinot [1872]. 1er édition
[3] ; Schopenhauer. A, Essai sur le libre arbitre, Ancienne librairie Germer Baillière et Cie, Félix Alacan. Editeur, Paris. 1894, Sixième édition, Traduit en français pour la première fois et annoté par Salomon Reinach.
[4] ; Feltz.B, La science et le vivant ; philosophie des sciences et modernité critique, De Boeck supérieur s.a., 2014, 2e édition revue et augmentée
– Il y’a aussi parmi d’autres ouvrages contemporaines : Liberté et Cerveau, quelle liberté à l’heure des neuro-sciences ?, Association des scientifiques chrétiens, édition Parole et Silence, Avril.2015
[5] ; Larousse définit la psychanalyse comme la « Méthode d’investigation psychologique visant à élucider la signification inconsciente des conduites et dont le fondement se trouve dans la théorie de la vie psychique formulée par Freud ».https.www.larousse.fr
[6] ; Milgram Stanley, Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité, La Découverte, Hors collection Zones, 2013,
– Milgram Stanley, La soumission à l’autorité : un point de vue expérimental, Calmann-Lévy, collection : liberté de l’esprit, 1994
[7] ; Schopenhauer. A définit trois aspects différents de la liberté : la liberté physique, la liberté intellectuelle et la liberté morale. Essai sur le libre arbitre, Ancienne librairie Germer Baillière et Cie, Félix Alacan. Editeur, Paris. 1894, Sixième édition, chapitre premier, définitions, p.p. 2.3.4
[8] ; « Aussitôt, en effet, qu’un animal n’agit que par sa volonté propre, on dit qu’il est libre dans cette acception du mot, sans tenir aucun compte des autres influences qui peuvent s’exercer sur sa volonté elle-même. Car l’idée de la liberté, dans cette signification populaire que nous venons de préciser, implique simplement la puissance d’agir […] C’est en ce sens que l’on dit : l’oiseau vole librement dans l’air, les bêtes sauvages errent libres dans les forêts, la nature a crée l’homme libre, l’homme libre seul est heureux. » Schopenhauer. A, Ibid., p.03.04
[9] ; Karl Popper, par exemple, définit l’existence de l’homme comme un processus « d’essai et d’erreur » duquel procèdent l’apprentissage, la connaissance et le progrès scientifique,
,https://www.researchgate.net/publication/4797402_La_Connaissance_Objective_de_Karl_Poppe-rprincipales_theses_et_apports_pour_les_recherches_en_gestion, Fabien Blanchot, Paris Dauphine University
[10] ; Schopenhauer. A, Ibid, p.06
[11] ; Schopenhauer. A, Ibid, p.21
[12] ; Schopenhauer. A, Ibid, p.18.19
[13] ; Schopenhauer. A, Ibid., p.11.
[14] ; Schopenhauer. A, Ibid., p.13 .
[15] ; « mais, de quelque ordre de faits qu’il s’agisse, la nécessité de la conséquence est toujours absolue, lorsque la raison suffisante en est donnée. Ce n’est qu’autant que nous concevons une chose comme la conséquence d’une raison déterminée, que nous en reconnaissons la nécessité ; et inversement, aussitôt que nous reconnaissons qu’une chose découle à titre d’effet d’une raison suffisante connue, nous concevons qu’elle est nécessaire : car toutes les raisons sont nécessitantes. » Schopenhauer. A, Ibid., p.10.
[16] ; « Quoi qu’il en soit, le mot libre signifie ce qui n’est nécessaire sans aucun rapport, c’est-à-dire ce qui est indépendant de toute raison suffisante. Si un pareil attribut pouvait convenir à la volonté humaine, cela voudrait dire qu’une volonté individuelle, dans ses manifestations extérieures, n’est pas déterminée par des motifs, ni par des raisons d’aucune sorte, puisqu’autrement […] ses actes ne seraient plus libres, mais nécessité. » Schopenhauer. A, Essai sur le libre arbitre, p.p. 11, 12
[17] ; Schopenhauer définit le nécessaire ;” En voici, selon moi, la seule définition véritable et complète :” On entend par nécessaire tout ce qui résulte d’une raison suffisante donnée”, définition qui, comme toute définition juste, peut aussi être retournée.” Essai sur le libre arbitre, p.9
[18] ; Ibid., p.p. 14, 15.
[19] ; Schopenhauer. A, Essai sur le libre arbitre, p.p. 19. 20.
[20] ; « Des désirs opposés, avec les motifs à leur appui, montent et descendent devant elle (la conscience), et se succèdent alternativement comme sur un théâtre : et pendant qu’elle les considère individuellement, elle déclare simplement que dès qu’un désir quelconque sera passé à l’état de volition, il passera immédiatement après à l’état d’acte » Schopenhauer. A, Ibid., p.31.
[21] ; « La conscience de chacun de nous lui affirme très-clairement qu’il peut faire ce qu’il veut. Or puisque des actions tout-à-fait opposées peuvent être pensées comme ayant été voulues par lui, il en résulte qu’il peut aussi bien faire une action que l’action opposée, s’il la veut. C’est là précisément ce qu’une intelligence encore mal armée confond avec cette autre affirmation bien différente, à savoir que dans un cas déterminé le même homme pourrait vouloir également bien deux choses opposées, et elle nomme libre arbitre ce prétendu privilège. » Schopenhauer. A, Essai sur le libre arbitre, p.43.
[22] ; Schopenhauer. A, Essai sur le libre arbitre, p.185, (Conclusion et considération plus haute).