L’évolution des politiques publiques française envers les étrangers
تطور السياسات العامة الفرنسية تجاه الأجانب
Dr.Boukrou Nacer/Université de Médéa, Algérie
د. ناصر بوقرو/جامعة المدية، الجزائر
مقال منشور في مجلة جيل العلوم الانسانية والاجتماعية العدد 89 الصفحة 91.
ملخص :
يحاول هذا المقال الكشف عن تطور السياسات العامة الفرنسية تجاه الأجانب خلال القرن الماضي. ويوضح كيف تغيرت هذه السياسات من البحث عن العمالة الأجنبية إلى إغلاق الحدود وتقييد حقوق الدخول إلى أوروبا. لهذا الغرض، تناولنا تاريخ التشريع الفرنسي تجاه العمال الأجانب خلال القرن العشرين (من عام 1918 إلى يومنا هذا). نتج عن هذا التطور ظهور التنقل السري للعديد من الشباب من الدول الفقيرة إلى الدول الأوروبية، وخاصة فرنسا.
الكلمات المفتاحية: العمال الأجانب، السياسات العامة، حق الدخول والإقامة، إغلاق الحدود، التنقل غير القانوني.
Résumé :
Cet article essaye de déceler l’évolution des politiques publiques française envers les étrangers durant le dernier siècle. Il montre comment ces politiques se sont changés de la recherche de la main d’œuvre étrangère à la fermeture des frontières et à la restriction des droits d’entrer en Europe. Dans ce but, nous avons traité l’historique de la législation française envers les travailleurs étrangers durant le 20e siècle (de 1918 jusqu’à nos jours). Le résultat de cette évolution est l’émergence de la mobilité clandestine de beaucoup de jeunes de pays pauvres vers les pays de l’Europe notamment la France.
Mots-clés : travailleurs étrangers, politiques publiques, droit d’entrer et de séjour, fermeture des frontières, mobilité clandestine.
- Introduction
L’objet de cet article porte sur l’évolution des politiques publiques française envers les étrangers. Il part de la recherche de la main d’œuvre à l’étrangers après 1918 jusqu’à l’émergence de la mobilité clandestine des jeunes étrangers conséquente de la fermeture des frontières de l’Europe notamment celles de la France.
Spécifiquement, nous nous sommes intéressés aux événements qui ont amené les gouvernants à adopter diverses politiques législatives jugées adéquates pour réglementer le droit de rentrer et de résider et/ou de travailler pour l’étranger.
Qu’il s’agisse de réguler les flux migratoires, les politiques de l’emploi ou l’accès aux droits civiques, la politique fluctuante envers les étrangers n’est pas nouvelle puisqu’elle a évolué en fonction d’événements (développement agricole et minier, guerre, natalité, phase d’expansion ou décroissance économique…) et d’idéologies historiques ayant façonné la politique des puissances européennes et essentiellement de la France.
Au regard des derniers durcissements législatifs communs à nombre de pays d’Europe (France, Angleterre, Espagne, Italie et même les Pays Bas ou la Suède récemment), la différence entre « étranger» et « travailleur » va se poser avec plus d’acuité en ce début de siècle.
Les politiques publiques envers les étrangers présentes semblent donc désormais restreindre la légitimité de la présence des étrangers de couleur ou de civilisations différentes au seul motif de l’utilité économique ou politique (Europe) au détriment de tout un passé historique et même de principes à caractère républicain et/ou humanitaire ayant présidé aux pratiques d’immigration depuis la seconde guerre mondiale dans l’ex-Empire de la France.
Ceci intervient de nos jours, alors que la migration a pris une ampleur sans précédent que ce soit en Europe, en Amérique, en Afrique ou ailleurs. En effet, la mondialisation a contribué au déplacement des individus.
Par ses aspects socio- démographiques et économiques, mais aussi culturels et juridiques, le phénomène migratoire interpelle de plus en plus les acteurs de la société civile, les instances internationales et naturellement les responsables politiques.
Tant il est vrai que certaines mesures prises semblent contraires aux principes fondamentaux du droit français lui-même (expulsion et rétention de mineurs et de familles entières), marquant ainsi un retour à des temps qui semblaient définitivement révolus.
S’agit-il du résultat dû à la médiatisation à outrance de faits attribués de façon subjective aux étrangers, particulièrement noires et africains (insécurité, problèmes de banlieues, port de voiles) ou logique (montée de l’extrême droite et la xénophobie…) ?
Ou s’agit-il d’un résultat dû à la conjugaison de nouveaux faits liés à la consolidation de l’Union Européenne d’une part, et des flux migratoires croissants résultant de la mondialisation des échanges d’autre part ?
Ou s’agit-il tout simplement d’une exigence dictée par des impératifs économiques excluant toutes ces considérations humaines et sociales ? Ou s’agit-il de résultat d’une conjugaison de tous ces facteurs réunis ?
Nous proposons de répondre dans cet article à ces trois questions en traitant le problème des étrangers en France dans un ordre législatif et historique.
Dans ce but, nous nous proposons de traiter dans un premier point le besoin et la recherche de la main d’œuvre étrangère après la Première guerre mondiale.
Dans un deuxième point, nous traiterons l’évolution des mouvements migratoires de 1945 à 1973, période communément appelée les Trente glorieuses tant à cause du boom économique que de la prospérité de différentes catégories sociales qui a caractérisé la France d’après-guerre. C’est pourquoi nous montrerons que l’ordonnance de 2 novembre 1945 comme étant la première loi d’après-guerre ayant institué un cadre officiel de réglementation générale ayant posé les jalons d’introduction, de travail et d’établissement de l’immigré.
Le choc pétrolier de 1974 et l’arrêt de l’immigration sera l’objet d’un troisième point, de par l’intérêt qu’il suscite compte tenu du fait de ses conséquences sur l’économie française, son marché de l’emploi et sur la législation migratoire conséquente. Celle-ci sera caractérisée par l’adoption de différents textes législatifs réglementaires de plus en plus restrictifs.
Nous verrons l’évolution des différentes mesures adoptées, caractérisées par des aspects quasiment sécuritaires envers les étrangers, tempérées de temps à autre, sous le parti socialiste de la gauche essentiellement, mais qui vont finir par aboutir à une maitrise de l’immigration.
Les dernières lois semblant sortir de l’ordinaire de l’avis de nombreux spécialistes, nous nous y intéresserons particulièrement, du fait qu’elles constituent une rupture dans la réglementation de l’immigration. Cette rupture semble telle que certaines dispositions réglementaires adoptées, quasiment contraires aux Conventions de Genève, ont fait l’objet de critiques et de rappel de la Commission Européenne des Droits de l’homme, des Ligues des droits de l’homme et de l’ONU elle-même.
- Le besoin et la recherche de la main d’œuvre étrangère après 1918
A la fin de la guerre (14-18), le flux migratoire vers la France prend une énorme ampleur à cause de besoin de main d’œuvre dans toutes les branches de l’économie, ceci d’autant que la France a perdu une bonne partie de sa population active dont nombre d’immigrés. Ainsi, la reconstruction des infrastructures, la renaissance de l’industrie et son développement technologique offrent des opportunités d’emplois auxquels la population autochtone ne peut répondre. L’apport d’une immigration massive était la seule issue pour combler les besoins de développement.
Dans cette période, la France a signé plusieurs conventions relatives à l’immigration et au travail avec d’autres pays, tels que la Pologne (le 3 septembre 1919, l’Italie (le 30 septembre 1919) et la république tchécoslovaque (le 20 mars 1920).
Les statistiques sur les immigrés et les conventions internationales conclues par la France avec divers pays depuis le début du siècle dernier nous donne une idée des besoins en main d’œuvre et de repopulation.
Ainsi, les statistiques de l’INSEE (Recensement de la population de 1911 à 1999) nous fournissent quelques indications objectives et sérieuses[1].
Nous remarquons que à cause de l’immigration massive due aux conventions, les immigrés ont connu une croissance continue jusqu’en 1931. Mais à cause de la crise (1929) contingentement de 1932, la population immigrée a baissée de 14,75% entre 1931 et 1936. Puis à la fin de la guerre, elle a encore chuté de 14,6% en dix ans.
Rapportés à la population totale, ils ont représenté un taux maximal de 6,6% en 1946.
Cette immigration fort souhaitée s’est conclue avec des accords internationaux.
Ainsi, en 1904 et 1906 avec l’Italie, en 1906 avec la Belgique puis en 1919avec la Pologne et l’Italie encore, puis enfin en 1920 avec la tchécoslovaque.
Dans ce cas, si l’État s’occupe des relations diplomatiques et de l’établissement de conventions de travail avec ces différents pays, c’est le patronat qui sélectionne, et finance l’arrivée des immigrés en fonction de ses besoins.
Les sondages réalisés et les conventions conclues permettent de penser que l’appel aux étrangers fut d’abord adressé aux pays voisins pour combler des déficits de main d’œuvre essentiellement dans certains secteurs (agriculture, mines, métallurgie). Un second appel fut fait après la première guerre d’où de nouvelles conventions.
Ainsi dès 1924 plusieurs groupements de patronat ont fondé la société générale d’immigration (SGI) – genre de société d’intérim dont l’objet est de recruter en masse la main d’œuvre nécessaire au profit de ses clients.
En 1921, les statistiques montrent que le nombre d’arriver a progressé d’un tiers par rapport à 1915, selon Janine Ponty, les étrangers représentent presque 7% de la population globale « jamais la progression numérique n’avait été aussi forte en si peu de temps. Le chiffre officiel de la population étrangère en France passe de 1.5 millions en 1921 (pour 39 millions habitants.) à 2.4 millions en 1926 (pour 40 millions habitants.) et à 2.7 millions en 1931 (pour 41 millions habitant) auxquels il convient d’ajouter les oubliés des recensements et les clandestins »[2].
2.1. Agriculture, mines et besoin de main d’œuvre
Il est tout à fait raisonnable d’estimer que l’agriculture et le dépeuplement des campagnes (surtout après la première guerre mondiale) et la nécessité de couvrir les besoins alimentaires des populations ont été probablement les premiers motifs de l’appel à la main d’œuvre des pays voisins.
Ainsi les statistiques, portant sur les immigrés (répartition géographique) permettent de constater que les zones à forte tendance agricole concentraient de fort taux d’immigration à l’époque (Marseille, Paris, la Loraine du Nord…).
Les mines et les houillères ont été en second lieu le deuxième pôle d’acheminement des étrangers. En témoignent la présence de 40% de mineurs polonais en 1924 dans la mine de Ronchamp.
Entre les deux guerres, 80% des polonais occupaient les mines du nord. Ceci est dû au fait que les premiers migrants ont accueilli leurs compatriotes.
Les statistiques montrent que l’industrie et la métallurgie n’étaient pas en reste puisque l’Ile de France, le Rhône Alpes et le Nord Pas de Calais (mines et métallurgie) concentraient, selon les périodes, un taux allant jusqu’à 40% d’étrangers dans certaines usines[3].
2.2. Le rôle des étrangers durant la Guerre et la reconstruction de la France
Cette période d’appel à la main d’œuvre européenne éventuellement a été marquée par un afflux massif d’étrangers, caractérisée par les différentes périodes qu’a connu la France.
Ainsi, si en 1893, l’État interdisait aux employeurs d’embaucher les étrangers non-inscrits sur les registres de la mairie, le décret de 1899 fixait un pourcentage maximum d’étrangers à employer dans les collectivités publiques.
Mais ces mesures d’apparence sont de police et marque le flottement de la politique migratoire entre la nécessité de protection des emplois aux nationaux et la pression exercée par les entreprises devant les besoins agricoles, miniers, métallurgiques et de transformation d’acier et de métaux lourds, ainsi que les besoins générés par la reconstruction et le développement des infrastructures.
Ainsi, l’État a-t-il signé des conventions dès 1908 et jusqu’en 1920 avec divers pays européens pour l’importation de main d’œuvre à l’appel du patronat.
Ce n’est qu’à l’approche de la crise de 1929 que l’État se voit ramené à l’adoption en 1926 d’une loi instituant « la carte d’identité de travailleur » puis à contingenter la main étrangère par profession et branche d’activité en 1932.
Ainsi, les statistiques précédentes montrent que leur chiffre total est passé de mille cent dix en 1911 à deux milles trois vint six en 1936, soit 2,5 et a dû dépasser ce chiffre à l’approche de 1945.
La chute observée en 1946 (soit 1 986 000 étrangers) est due à la seconde guerre mondiale. Elle n’a pas été exemple de retournements.
Durant cette période, la politique publique envers les étrangers n’était régie que par quelques textes réglementaires relatifs à l’identité de l’étranger et autres orientations émanant de notes administratives ou discours officiels, les modes, méthodes, flux et origines de recrutements étant laissés à l’initiative plutôt de l’employeur[4].
Cette société patronale, en réalité est une société privée de recrutement au service du patronat, va ainsi introduire 450 000 ouvriers d’Europe centrale en moins de sept ans.
L’État se contentait alors, d’un contrôle administratif ultérieur assez lâche de routine.
- L’arrivée massive et la réglementation des étrangers (1945-1973)
L’expansion économique due à l’après-guerre, le souci de doper l’action sociale en faveur des populations en maintenant la croissance générale, industrielle…dans un climat de compétitivité accrue, ont engendré des besoins en main d’œuvre étrangère de plus en plus accrus et impératifs.
On assiste ainsi après 1945 à une relance massive de la main d’œuvre étrangère, où les premiers arrivants sont principalement européens et particulièrement des Italiens : entre 1945 et 1949, à eux seuls ils représentent en moyenne 67% du total.
À côté d’eux, les algériens constituaient la plus grande partie des étrangers non européens. Déjà, en 1931, ils représentaient la quasi-totalité des 86 000 travailleurs maghrébins recensés, puisque les autres immigrations d’origine maghrébine (Maroc et Tunisie) ou africaine sont beaucoup plus tardives.
Toutefois, l’immigration algérienne restera marquée par l’instabilité (aller et retour au pays) jusqu’en 1962. Mais avec le nouveau statut de français musulmans reconnu aux algériens en 1947 et la libre circulation qui s’en est suivie entre l’Algérie et la métropole, on dénombre entre 1947 et 1953, 740 000 arrivées en France et 561 000 retours en Algérie, soit un solde de 179 000.
Or, la réglementation instituée par l’ordonnance de 1945 concernant l’immigration et conditionnant son afflux sur le territoire semblait constituer un frein pour le patronat.
Ceci a poussé les entreprises à encourager l’immigration même par des voies parallèles (en recrutant sur place les faux touristes par exemple et les Algériens « français » à l’époque qui entraient sans grande restriction) et ont amené l’État à « fermer les yeux » sur ces pratiques, alors que théoriquement, l’ONI en avait l’exclusivité de l’introduction.
Ainsi, l’État lui-même a-t-il dû procéder à une régularisation massive pour répondre aux besoins des entreprises.
Conçue pour planifier une immigration attendue, selon Patrick Weil[5] cette ordonnance est devenue progressivement un instrument de contrôle des étrangers. A l’époque où s’élaborait ce qui allait devenir l’ordonnance de 1945, l’immigration n’était pas traitée en problème mais en nécessité nationale.
Les accords d’échange entre la France et divers pays portant sur l’immigration est devenu de fait un accord purement quantitatif pour réguler celle-ci. Ainsi, pendant la décennie de 1957 à 1968, le dispositif conçu à la libération s’est laissé franchir par 3 phénomènes : l’expansion économique, la décolonisation qui ne fut pas une rupture brutale et, enfin, la construction européenne.
De l’expansion économique, il en résulte que l’État ne se préoccupe plus des problèmes de population, bien que l’office national des immigrés comporte dans son intitulé le terme population. Donc il s’instaure de cette politique une action sociale spécifique applicable à tous les étrangers nouvellement arrivés sur le territoire, le traitement social de l’immigration s’appuie sur des instruments spécifiques, c’est la modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui s’est amorcée dès 1957 avec l’ouverture des frontières et la suppression du visa préalable pour les séjours de moins de 3 mois et donc la voie à une régularisations massive éventuelle.
Ainsi, la main d’œuvre algérienne deviendra une composante nouvelle dans la population étrangère en France. Les algériens seront ainsi de l’ordre de 210 000 en 1954 et 350 000 en 1962.A cette date, ils représentent 54% des étrangers non européens. On estime que leur nombre fut beaucoup plus important à cause des années de guerre d’Algérie. Ainsi, le ministère de l’intérieur de l’époque avançait quant à lui le chiffre de 436000.
Toutefois, la proportion des algériens, va continuer à croître jusqu’en 1982 où elle représentera 15% de l’immigration globale. Elle aura doublé en 20 ans, puisqu’elle passe de 330 000 en 1962 à 605 000 en 1982.
En 1975, ils représentent la deuxième nationalité étrangère en France avec 710 000 âmes dont la majeure partie est active (recensement INSEE)[6].
Au moment où des accords de limitation Algéro-Français sont posés, le patronat, sous l’œil prudent mais « laisse faire » de l’État, le patronat va chercher à trouver de nouvelles sources de recrutement.
Ainsi, les autres pays du Maghreb sont devenus pourvoyeurs: les Marocains, limités alors par leur administration, vont voir leur nombre se multiplier par trois entre 1968 et 1975, passant de 88 000 à 260 000 êtres, suivi des tunisiens, qui vont également passer de 4800 en 1954 à 139000 en 1975.
Cette main d’œuvre étrangère va se diversifier alors par la rentrée des ressortissants de pays ex-colonisés du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie, soit introduits, soit régularisés sur place : ils représentent alors 80 000 en 1975, installés essentiellement dans le bassin parisien.
Toutefois, la relance économique formidable et son expansion continue absorbent à peine tous ces flux et les entreprises, en manque de main d’œuvre, souvent peu qualifiée ont poussé l’État à conclure d’autres accords sur le plan européen.
Ainsi, les Italiens, déjà présents de la longue date en France, bénéficieront d’accords bilatéraux dès les années 1960. Eux et d’autres européens ou arriveront en masse dès les années 1954, fuyant parfois la misère, parfois les dictatures (cas des Espagnols et Portugais en particulier).
Ainsi, les Italiens déjà fort nombreux dans les années 1950 voient leur nombre atteindre les 685 000 en 1962.
Pour leur part, les Portugais atteignent 9,5% du total en 1964, soit 285 000 âmes (accords) cadre de 1963).
L’accord avec l’Espagne, signé en 1961 va accentuer la présence du peuple ibérique : il représentera 18% des étrangers en 1962 puis 21% en 1968, soit 590 000 individus.
Au total et selon les recensements de l’INSSE, le total « étranger » représentait quelques 2 860 000 en 1962 et s’est accru de quelques 1 000 000 de personnes en 1975 et de 420 000 personnes après la fermeture des frontière (1999).
L’ampleur de ce phénomène a correspondu à ce qu’on appelle les trente glorieuses, autrement les années fastes de reconstruction et de développement après-guerre. Il suffit en effet de jeter un coup d’œil à l’évolution du PIB pour comprendre la croissance qu’a connu l’Europe toute entière et la France en particulier.
Durant toute cette période, le taux de croissance moyen (1950-1974) a été de 5% alors qu’auparavant ce taux n’excédait guère les 2,5%. Les effectifs actifs des étrangers dans le BIP sont passés de 700 000 en 1946, soit 6,3% des 11 200 000 salariés des secteurs non agricoles à 1 740 000 à la fin de 1973 soit (12,5%) de cette même catégorie de salarié. L’agriculture, les houillères et la métallurgie ont connu des progressions parallèles.
Mais le boom économique soutenu pendant 30 ans ne fut pas le seul motif de l’appel migratoire : il fut conjugué à une perte des hommes due à la guerre de la libération et inter ethnique et une sous natalité conséquente.
Il a fallu le choc pétrolier de 1974 (précédé des signes des 1973) pour enterrer définitivement cette période dont le retour semble peu probable pour nombre de spécialistes : d’où son nom des trente glorieuses (Fourachier).
Sur le plan législatif relatif à l’immigration, on peut dire qu’il n’y a strictement rien eu depuis l’ordonnance de 1945 jusqu’au 1973.
Si l’on excepte certains réaménagements des accords d’Evian relatifs aux Algériens, on peut dire que cette période fut plutôt favorable aux immigrés quant au débat social qui tente d’améliorer leur situation sociale en France qui leur permet de bénéficier de la sécurité sociale et du logement.
La première loi pouvant être considéré comme restrictive fut celle du 6 juillet 1973 conçue « comme outil de répression » contre le trafic de main d’œuvre.
Mais elle annonce déjà les lois restrictives à venir et la suspension de l’immigration dès1974 (création du secrétariat d’État aux immigrés) octobre 1973 avec la guerre du kippour en 1974 et l’Embargo sur le pétrole entraîne ou plutôt accentue une période économique qui tendait vers la récession. Cela dès lors se traduira par des lois répressives contre l’immigration à partir de 1974.
- La crise économique de 1973 et l’arrêt de l’immigration
Les trente glorieuses ont mérité probablement leur nom autant par l’expansion économique et la croissance qui ont marqué ces trente années que par la récession qui a marqué juste après l’économie française suite au choc pétrolier de 1974 qui a révélé la fragilité du tissu économique français.
La politique migratoire suivie sera don empreinte à la fois des conséquences de la crise débutant à partir de 1974 sur le marché de l’emploi.
Tout d’abord, la réglementation de l’immigration connaîtra des mesures particulièrement sévères prises sous le règne de Mr. Valéry Giscard d’Estaing.
Sous son administration, diverses mesures, inconnues de l’histoire de l’immigration d’après-guerre, vont être prises : contrôle stricte aux frontières, suspension de l’immigration touchant à toutes les catégories d’immigrés (travailleurs et leur familles, visiteurs, demandeurs d’asile, étudiants, regroupement familial…etc.).
Le développement de la suspicion auprès de l’opinion publique à l’égard de l’ensemble des immigrés, créant la liaison factice et pernicieuse entre étrangers, illégaux et chômage croissant va conduire pour la première fois l’immigration à subir la chasse policière aux immigrés sans-papiers, le refoulement aux frontières et surtout l’image négative de l’immigré en général (rituel déjà connu à l’égard d’autres catégories dans les années 1930 et 1940).
Dans une deuxième période, nous allons assister à de nouveaux resserrements (Michel Rocard déclarant que la France ne peut pas supporter toute la misère du monde, lois Chevènement).
L’avènement de Mr. Sarkozy à la Présidence et sa politique migratoire marque un tournant historique dans l’histoire de l’immigration.
3.1. La maitrise de l’immigration 1973 – 2003
Bien avant le choc pétrolier de 1974, dû à la guerre Israélo-arabe de 1973, le fort développement de l’immigration maghrébine et particulièrement algérienne, due elle-même à la fin de la guerre Franco-Algérienne en 1962 et des accords d’Evian autorisant la libre circulation de personnes entre les deux pays, suivie de l’apparition de nouveaux immigrés d’origine subsaharienne, a amené les gouvernants dès 1972 à tenter quelques mesures pour infléchir le flux migratoire.
Ainsi, les Circulaires du 23 Février et 15 Septembre 1972, dites Marcelin-Fontanet (respectivement ministres de l’intérieur et de travail), ont subordonné explicitement et pour la première fois depuis 1945, d’une façon administrative, l’autorisation de séjour à la détention d’un emploi, réaffirmant en quelque sorte de façon réglementaire, l’esprit premier de l’ordonnance de 1945.
Mais liant cette fois, administrativement, l’autorisation de séjourner à la détention d’un emploi, ces mesures ont eu pour effet immédiat la création régulière et progressive de ce qu’on appelle aujourd’hui, les immigrés sans papiers.
Les politiques des différents gouvernements de Mr, Giscard d’Estaing, vont essayer de stopper le flux migratoire, voire réduire la masse des immigrés déjà installés régulièrement en France. Notamment après l’extension du chômage en France, à un sommet de 750 000 chômeurs en 1975 et la réapparition d’un discours politique tendant à faire l’amalgame entre immigration et insécurité, va permettre à Mr Stoléru, alors secrétaire d’État chargé des travailleurs immigrés, de mettre en place une aide au retour volontaire (note ministérielle du 30 mai 1977) de 10 000 francs aux immigrés qui acceptent de regagner leur pays d’origine de façon définitive, disposition désormais connue sous le nom du « million de Stoléru ».
À la fin des années 1970, la sédentarisation des immigrés en situation régulière est devenue une réalité que nombre de décideurs n’admettent pas encore. Ils partiront, pensent-ils, si on les aide. D’où le projet de Lionel Stoléru…».
Selon le même auteur, Mr, Stoléru avait même soumis au parlement un projet de loi musclé mais stoppé qui aurait entraîné des départs obligatoires[7].
Cela n’a pas empêché les autorités administratives, en 1978 de mettre en place ”un mécanisme de retours organisés et forcés d’une partie de la main d’œuvre étrangère installée jusque-là régulièrement et parfois depuis longtemps en France. L’objectif affiché est le retour de 500 000 étrangers. Les États de Maghreb sont particulièrement visés par ces mesures étalées sur cinq ans, notamment l’Algérie[8].
Mais suite à de violentes manifestations d’étrangers et français soutenues par des dizaines d’associations de défense des étrangers dont des syndicats de travailleurs, ces mesures ont été en quelque sorte suspendues et non pas atteint les objectifs recherchés.
Cet échec ne va pas empêcher le dernier gouvernement de contourner ces mesures par la promulgation, le 10 janvier 1980 de la loi, connue désormais sous le nom de « loi Bonnet » laquelle a rendu les conditions d’entrée sur le territoire plus sévère. Elle a fait aussi de l’entrée ou du séjour irrégulier un délit comparable à la menace à l’ordre public.
Cet arsenal juridique désormais permet à l’administration de chasser de la France tous ceux entrés clandestinement ou non, car il suffit de constater le séjour irrégulier de ceux auxquels le renouvellement de leur titre a été refusé.
C’est la mainmise de l’administration sur la gestion des flux migratoires.
Ainsi, après des régularisations effectuées en 1981, la lutte contre l’arrivé des étrangers clandestins s’est renforcée « possibilité de sanction de séjour irrégulier par une interdiction sur le territoire »[9], centralisation des données, accroissement des moyens de la police de l’air et des frontières, création d’une aide au retour pour les étrangers souhaitant regagner de leur propre volontés leur pays d’origine.
Dès juillet 1986 et jusqu’en septembre de la même année, s’est déroulée la discussion au Parlement et au Sénat de la loi, adoptée finalement sous forme et portant le fameux nom de Pasqua.
Cette loi rend aux préfets sans passer par la justice le droit de prononcer la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Le régime de l’expulsion est remis en place. Elle restreint le droit des étrangers à l’obtention de la carte de résident sans l’abolir toutefois. Elle réduit de façon ostentatoire le droit de ceux des étrangers qui furent précédemment protégé contre les mesures de refoulement. Un mois après ce fut le charter de 101 Maliens expulsés et l’annonce de nouvelles mesures d’expulsion par Mr Pasqua.
Nous retenons de cette période, l’allocution de Mr Michel Rocard devant des élus socialistes disant que nous nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde et celle de François Mitterrand où il estimait une nécessité nécessaire d’allier la fermeté à l’égard de l’immigration clandestine à une politique résolument tournée vers l’intégration des résidents par le fait qu’un seuil de tolérance a été déjà atteint dans le passé en parlant des années 1970.
Puis, nous allons assister à une remise en cause de certains acquis de l’immigration et à la prise de différentes décisions tendant à les restreindre tout au long des années 1991 à ce jour.
Nous notons particulièrement dans cette période la loi du 30 Août 1991 où il y a renforcement de conditions de délivrance de certificat d’hébergement et l’autorisation donnée aux maires de contrôler la réalité des conditions d’hébergement.
Courant la même année, différentes mesures de répression du travail de sans-papiers, de trafic de main d’œuvre, de l’aide à l’entrée au séjour des étrangers irréguliers, ainsi que de la réforme tendant à étendre le champ d’interdiction du territoire. Mais nous ne pouvons clore cette période sans noter les lois particulièrement sévères dites lois Pasqua de 1993.
Les lois de Mr Pasqua (10 et 24 Août 1993), limitent les conditions de délivrance d’un titre de séjour, elles prévoient le refus et le retrait de la carte de séjour de l’étranger et à leur conjoint polygame et le retrait de titre de séjour délivré aux réfugies dans certains cas. Elles limitent les compétences de la commission de séjour qui n’émet plus qu’un avis consultatif, mais ne liant plus nécessairement les autorités délivrant les titres de séjour.
Elles ajoutent des nouvelles conditions au regroupement familial, renforce les mesures d’éloignement de territoire et facilitent les modalités de contrôle d’identité.
3.2. Instauration d’une politique répressive à partir de 2003.
Depuis 1973, différentes lois, ordonnances, textes… restrictifs à l’immigration ont été adoptés. Ces réglementations restrictives contre l’immigration se sont, comme on l’a vu, succédées de 1973 à 2003 puis se sont poursuivie par des circulaires et des décrets tendant à stopper les flux migratoires sous tous leurs aspects (travail, famille, etc.…)
Toutefois, la loi du 26 novembre 2003 suivi de l’ordonnance de 24 novembre 2004 sont considérées politiquement comme un édifice érigé sous l’ère Sarkozy puisqu’elles sont les premières à abroger là où les vies de la fameuse ordonnance du 2 novembre 1945 en codifiant à droit constant les différents textes préexistants[10].
Mais la loi du 24 juillet 2006 semble être retenue par une grande majorité de spécialistes de la question comme marquant un « tournant décisif » dans « la politique migratoire » de la France.
Par ailleurs, compte tenu de la mondialisation, des conflits et des difficultés en tout genre qui secouent le monde autour de l’Europe, l’immigration zéro est un leurre, bien que « souhaitable » (déclaration du président Sarkozy), qui le 11 décembre 2006, déclarait que « prôner l’immigration zéro, c’est refuser de voir la réalité en face et de s’y confronter …on ne transforme pas la réalité avec des chimères ».
On peut affirmer que la loi du 24 juillet 2006 et autres circulaires d’application ayant suivi, ne sont pas des chimères mais un retournement de politique migratoire, arsenal navigant à notre avis dans des eaux bien troubles à la limite, parfois au-delà, du droit républicain et des droits de l’homme.
L’esprit de cette loi qui repose désormais sur les deux concepts « immigration subie » et « immigration choisie » apparaît donc comme une « césure formelle » et une rupture totale dans la politique migratoire, « compte tenu du discours politique qui la soutient »[11].
Toutefois, dans le même article, Serge Slama se demande si en fait cette loi ne signe-t-elle pas seulement un constat d’échec « des politiques de suspension de l’immigration de travail et familiale et de maîtrise des flux migratoires et le retour, infini, d’une politique sélective d’une main d’œuvre étrangère « utile » et ayant une volonté d’intégration dans la société française déjà présente lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945[12].
Nous pensons quant à nous que ni Lochak, ni Serge Slama, pour les cas d’espèce n’ont tort dans la mesure où déjà, dans la lettre De Gaule au garde des sceaux en date du 12 juin 1945, traitant des naturalisations, le président donnait des directives dans le même sens que la loi de juillet 2006 quand il écrivait : « dès à présent, il convient de prendre des directives d’ensemble sur les naturalisations.
Il conviendrait notamment de ne plus les faire dépendre exclusivement de l’étude de cas particuliers, mais de subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel, géographique.
Sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des méditerranéens et des orientaux qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la composition de la population française…il est souhaitable que la priorité soit accordée aux nationalisations nordiques….
Sur le plan démographique, il importe de naturaliser des éléments jeunes ou ayant des enfants … ».Sur le plan géographique, limiter dans les villes et étendre aux campagnes.
La loi de juillet 2006 et autres décrets ayant suivi concernant notamment « l’immigration subie » et « les sans-papiers » sont d’une telle rigueur qu’elles défient le droit coutumier, la tradition française et même, pour certains observateurs avertis, les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et aux réfugiés politiques, (ces derniers figurant désormais dans le discours présidentiel comme faisant partie de l’immigration subie).
Compte tenu de son caractère extrêmement répressif, il nous a apparu important de lui réserver une place à part : immigration choisie (utile) et immigration subie (indésirable).
Pour l’étudier, nous nous proposons de hiérarchiser son examen sur la même dichotomie.
Nous ne saurons mieux introduire cette notion que les auteurs de la convention UMP tenue le 9 juin 2005, sur le but de cette convention.
Les auteurs s’interrogent « la France-a-t-elle une véritable stratégie migratoire ou bien sa politique ne se résume-t-elle-pas finalement à la gestion a postériori, et sous la pression médiatique, de cas individuels identiques et toujours plus nombreux ?
Théoriquement, il s’agit d’une loi utilitariste visant à faire venir des originaires de tiers monde pendant un temps donné pour répondre à des besoins ponctuels de l’économie française.
Elle a « quelque chose » qui rappelle les sombres périodes de l’histoire de l’immigration dans un passé lointain.
- L’émergence de l’immigration clandestine
La mise en place d’une politique répressive, comme l’arrêt de la régularisation des étrangerset le contrôle des frontières[13] a considérablement touché les étrangers en France.
L’immigration passe de la régularité à l’irrégularité. Mais l’apparition de l’immigration clandestine[14] a été favorisé par l’intensification des risques sociaux dans les pays du sud, surtout en Afrique, les foyers des guerres, la répression des dictatures … ont entrainé une situation de famine et de désintégration généralisée au niveau des populations.
C’est pourquoi des jeunes africains cherchent à tenter leur chance dans les pays développés par la voie irrégulière. Ce phénomène a complètement changé la vocation de l’immigration Africaine en France.
4.1. La restriction des droits de rentrer et de séjour
Parallèlement à l’évolution des textes juridiques et réglementaires adoptés par les différents gouvernements depuis 1945, visant à instituer un cadre juridique au travailleur immigré le statut et par conséquent le concept de légal ou illégal attribué à l’immigré a naturellement suivi cette évolution.
Aussi, nous ne pouvons discuter des dénominatifs attribués à ceux jugés illégaux qu’à travers les sens récents jugés adéquats pour qualifier cette catégorie d’immigré et en particulier depuis la fin des années 1970.
Deux dates récentes dans cette réglementation sont particulièrement significatives de la réapparition de l’immigré légal et illégal : les circulaires Mercelin – Fontanet en 1972 mettant fin à la régularisation de tout étranger entré sur le territoire sans autorisation de travail ni attestation de logement et confiant cette tâche à la préfecture de police pour la gérer.
La suspension de l’immigration de travail le 5 juillet 1974 par le gouvernement de Mr Giscard d’Estaing va accentuer ce caractère d’illégalité pour tous ceux qui pénètrent au territoire et qui ne respectent pas les conditions de séjour touristique usuellement et internationalement établis. Autrement dit, qui prétendent à un séjour dépassant les trois mois. Ceci d’autant qu’ils ne peuvent répondre aux conditions des circulaires récemment adoptées en 1972.
La loi Bonnet ”1980” se remarque particulièrement par au moins deux dispositions particulières, elle réactualise un vieux concept mais institutionnalise pour la première fois, dans la période récente :
a/ L’irrégularité de séjour devient un délit.
b/ Donne compétence aux préfets de police de prononcer les expulsions des immigrés illégaux.
c/ Le corollaire que l’irrégularité du séjour devenant un délit au même titre que le trouble public, on assimile de fait l’immigration irrégulière à la criminalité, ce qui autorise l’expulsion et non le simple refoulement aux frontières. Outre passement de la justice.
Les lois Stoléru, dont l’auteur se prétend démocrate[15], fixent pour la première fois des objectifs d’expulsion (100 000 à l’époque. Aujourd’hui, 97 000 pour 2007 pour Mr Sarkozy).
N’oublions pas les absurdités des lois Pasqua (automaticité, contrôle policière, double peine,…). Elle crée l’immigration par la création de l’opposabilité au travail, l’opposabilité au renouvellement du séjour, six mois de chômage ou six mois d’absence du territoire, etc…
Bien qu’invalidées par le conseil constitutionnel à l’époque, elles sont reconduites modifies par circulaire et toutes remises à l’ordre du jour par Mr Sarkozy. Elles sont codifiées.
Nous constatons que, la notion d’immigré illégal est devenue un fourre-tout où sont incluses toutes sortes d’individus, aux motifs les plus divers, dont le seul dénominateur commun est l’attribut illégal, puis clandestin puis sans papiers, ou irrégulier.
Mais là encore cette notion semble dérisoire, car il s’agit d’une catégorisation. Elle souffre de cela du fait même qu’elle englobe une panoplie d’individus, vivant en clandestinité. Les enfants étrangers, venus trop jeunes en France, parfois nés même sur le territoire national, mais qui ne sont points protégés, à un moment donné, par telle ou telle réglementation surgie, font par exemple partie des clandestins.
Exemple : Un Réfugie politique, fuyant la guerre ou la dictature, pour assurer sa survie peut-il avoir violé les lois de l’hospitalité ou tout autre réglementation nationale en s’y introduisant ?
Les lois Pasqua (1993) sont assez significatives à ce sujet, traduisant parfaitement la vision de l’homme lui-même, transcrivant dans les textes ses propres visions pourrait-on dire, quand il excluait des dizaines de milliers d’êtres, souvent intégrés à la société française de longue date (les déboutés par exemple des régularisations de 1981) de toute reconnaissance quelconque de leurs droits allant jusqu’à les exclure de toute protection sociale?
Thème malheureusement repris par Mr N. Sarkozy 15 ans plus tard. Pire, « la loi n’étant pas rétroactive, certaines catégories de personnes, jusque-là épargnées par la loi précédente vont basculer subitement dans l’irrégularité et vont se trouver dans des situations où elles ne sont ni expulsables, ni régularisables »[16].
On retrouve le même problème avec la loi Chevènement du 24 juin 1997 : tous ceux qui n’avaient pas un travail ou ne sont pas rentrés avant telle ou telle date au moment des régularisations opérées (130 à 145 000 selon les données ont été régularisés), se sont trouvés de ce simple fait « clandestins » alors même que le gouvernement s’interdisant alors de les expulser, les « invite à quitter le territoire ». Les déboutés sont allés d’eux-mêmes à la préfecture pour simple résultat d’être fichés.
En effet, rappelons que pour l’État, il n’existe que deux catégories d’immigrés « les réguliers- ceux qui ont un titre leur reconnaissant le droit de résider et les autres, ceux qui ne l’ont pas ».
Fort de cela, il objectivise l’éloignement et la déportation des irréguliers -quel qu’ils soient- à travers les médias en les culpabilisant, non seulement d’un point de vue de droit, mais également comme « facteurs » de trouble à l’ordre public en travaillant illégalement, en s’adressant pour entrer ou résider aux « négriers » et « autres mafias »…allant jusqu’à faire croire que leur éloignement est une protection « pour eux » et pour la société[17].
Mais en allant loin dans cette répression, (fixation de chiffre de déportation à l’avance, fichage des hébergeants, restriction du regroupement familial pour des « français » mariés à des camerounaises, marocaines, algériennes ou tunisiennes, mais ”français” quand même), une frange de la population, assez réduite, mais assez nombreuse compte-tenu de sa qualité intellectuelle, commence à s’interroger sur la nature du pouvoir lui-même et de ses dérapages.
Ainsi, certaines mesures, rappelant celles des années trente, suscitent parmi elles, un sentiment de peur et d’insécurité, pour leurs propres institutions.
Grâce à l’hétérogénéité de cette catégorisation dont des franges entières ont été créés par les différentes lois successives elles-mêmes, et dont le caractère injuste a été saisi (débouté d’asile à la frontière, enfants d’immigrés réguliers, modification des codes de la nationalité-droit du sang et droit du sol, la double peine, les étudiants irréguliers…), le qualificatif « sans papier » a désormais droit de cité partout.
4.2. L’arrivé des étrangers des clandestins
Depuis la fermeture des frontières et la restriction de l’entrée en Europe, l’immigration clandestine s’est développée de manière constante et concerne tous les pays occidentaux, même s’il s’avère difficile de la quantifier précisément en raison de sa spécificité.
Une récente étude de l’institut américain Pew Research Center[18] réalisée à partir des données sur la période 2014-2017 obtenues auprès des administrations des 32 pays d’Europe occidentale, estime entre 3,9 et 4,8 millions immigrés clandestins en 2017.
Selon cette enquête exhaustive 70 % des migrants illégaux se concentrent dans quatre pays (Allemagne, Royaume-Uni, Italie et France).
L’enquête réalisée montre une hausse de 1 million du nombre d’immigrés illégaux depuis 2014. Surtout, pour la France, qui héberge en 2017 entre 300 et 400.000 clandestins, contre 250.000 en 2014.
Ces clandestins partent de chez eux en prenant des risques, à l’aller comme au départ. Ils quittent leur pays à cause de la misère, de la faim, des guerres et de la dictature.
Malgré l’insécurité et la précarité qui l’attendent dans le pays d’accueil, émigrer constitue pour eux un espoir bien meilleur de survie, et pourquoi pas de bonheur.
Aux alentours des années 1980, l’immigré clandestin était dénommé « le non régularisé ». Ce mot renvoyait à un individu qui avait donc un statut qui avait la possibilité d’être régularisé : il était inscrit dans un processus, qui finalement devrait aboutir à sa régularisation[19].
Cette vision de processus de régularisation rejoignait en fait la conception qu’on en avait, avant l’avènement de V. Giscard d’Estaing à la tête de l’Etat. Elle va « cohabiter » avec la notion « d’immigration sauvage » après les lois Fontanet-Marcelin et Bonnet. Par la suite, cette expression sera la locomotive de la stratégie de la communication de la Droite, comme « Slogan », critique à l’égard de la politique menée depuis 1981 (deux septennats).
« L’immigration sauvage », de retour actuellement, vise à criminaliser les immigrés essentiellement Africains, car nombre de ces entrées seraient facilitées par des réseaux de passeurs, utilisant des moyens illicites parfois, tels que faux documents ou documents falsifiés.
Le drame de « Barques » traversant la mer étant plus récents, sert actuellement à légitimer cette expression de clandestin. En réalité, ces gens sont souvent des pêcheurs reconvertis, plutôt que des mafias organisées, dans le cas des barques traversant la méditerranée du moins. Il s’agit aussi pour la Droite nationaliste de légitimer ses lois restrictives et répressives en gagnant l’appui d’une partie de public.
Le qualificatif de « clandestin », utilisé comme on l’a dit par le peuple ou la police de terrain, se réfère tout simplement aux gens qui vivent dans la clandestinité.
Ainsi, le terme clandestin nous renvoie à une multitude d’individus, car à l’examen des buts, des causes, des moyens utilisés pour pénétrer au territoire (visa ou sans visa), voire même sans pénétration de territoire et du seul fait de la réglementation (problème des enfants d’immigrés réguliers), ceci ne traduit en fait, que l’embarras d’une société, administration comprise, à un moment donné de son histoire, devant une catégorisation forcée de toute une population humaine. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de France et de l’humanité. Ni de l’Europe patronale.
Selon la remarque faite par J. Ponty, on pourrait dire d’une façon plus académique que le clandestin est celui qui entre dans un territoire sans autorisation, sans invitation, viol un principe moral fondamental, celui de l’hospitalité qui recouvrait deux types : l’hospitalité privée et l’hospitalité de l’État. La première renvoie au droit de visite et la seconde au droit de séjour.
Ainsi, l’immigration est devenue actuellement une affaire d’État, en tant que la question des frontières est devenue de même un enjeu directement lié à la protection politique, économique[20] et sécuritaire du territoire national et à la violation du principe d’hospitalité de l’État.
C’est ainsi que l’ensemble des textes régissant le droit au séjour restreignent en progression continue de séjour des étrangers.
Le principe général étant posé : le non régulier ayant enfreint le droit d’entrée et/ou le droit de séjour, a commis un délit. Le délit qui pourrait ne pas en être un (si l’on considère la charte de l’ONU et les droits d’une personne à quitter et s’installer dans le pays qu’il choisit, (toujours en vigueur) et les conventions de Genève relatives aux Réfugies) est assimilé désormais à tous les autres délits de droit commun.
Ainsi, les autorités Européennes sont passés à la chasse aux clandestins, et les gouvernements sont allés jusqu’à outrepasser certaines règles juridiques pour opérer les arrestations de masse.
Conclusion
Au terme de cet article, nous avons vu deux situations différentes qui caractérisent de nos jours les immigrés en Europe. D’un côté, nous avons des immigrés légaux caractérisés par un statut juridique où l’on décèle encore une évolution considérable ; et de l’autre, il y a des immigrés illégaux qui se désignent généralement par le terme « clandestin » ou « sans papier ».
Toutefois, il est important de comprendre que l’immigration demeure un enjeu politique et économique. Ces deux aspects que nous avons remarqués du phénomène de l’immigration, justifient l’objet de l’article. Il rend compte à l’évolution et aux changements politiques intervenus autour du statut des immigrés en France depuis 1918jusqu’à nos jours.
Dans ce but, nous avons analysé les différentes mesures politiques qui ont engendré la réglementation de l’immigration en France voire le phénomène de « l’instrumentalisation » de l’immigration par des politiques. Ceci nous a amené à considérer les différentes mutations opérées dans l’immigration en France qui a changée et devenue irrégulière et clandestine. Cette terminologie associée à l’immigration a ouvert un autre débat politique autour de la question des étrangers en France.
Cette remarque met en évidence différents textes qui ont institué le droit de séjour des étrangers en France. Ces textes complétés et abrogés après des différentes dispositions précédentes, touchent aussi bien le droit de travail, le droit civil et pénal voire monétaire et financier (codéveloppement par exemple).
En conclusion, le contrôle et la maîtrise des flux migratoire, la fermeture des frontières et le durcissement de l’entrée en Europe, ont contribué à l’apparition de l’immigration clandestine et aux pratiques répressives.
Bibliographie :
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[1]INSEE, Population immigrée et population étrangère en 1999, Recensement de la population, no 121. Paru le : 07/02/2011. Disponible sur le site Internet : « https://www.insee.fr/fr/statistiques/2118512?sommaire=2118522 »
[2] Janine Ponty, L’immigration dans les textes (France, 1789-2002), Edition Belin, 2003, p. 123.
[3] Voir Amar Marianne et Milza Pierre, L’Immigration en France au 20ème siècle, Paris, Armand Colin. 1990.
[4]Ibid, Janine Ponty, p.129.
[5] Weil Patrick, La France et ses étrangers, Paris, Gallimard. 1991. P, 112.
[6]Ibid, INSEE (Recensement de la population de 1911 à 1999).
[7] Janine Ponty. Op-cit, p. 349.
[8]Cronologie de l’immigration. « www.vie-publique.fr/cf.chronologie de l’immigration ».
[9]Costa- Lascoux, J. et Wihtol de Wenden, C., « Les Travailleurs immigrés clandestins en France. Approche politique et institutionnelle », p. 349-370, Études Migrations, n° 63,1981.
[10] Code de l’entrée et de Séjour de l’Etranger et du Droit d’Asile (CESEDA), 24 juillet 2006.
[11] Serge Slama/Revue Regards sur l’actualité. N°325. P. 5.
[12]Ibid, p. 5.
[13] Catherine Wihtol de Wenden, Atlas des migrations dans le monde, réfugiés ou migrants volontaires, Collection Atlas/Monde, éditions Autrement, 2005, p. 10 -11.
[14]Ibid, Costa- Lascoux, J. et Wihtol de Wenden, C.
[15] Lionel Stoléru La France à deux vitesses, Paris, Flamarion, 1982.
[16] Daniel Lochack in Didier Fassin et autres, « Les lois de l’inhospitalité », la Découverte. 1997. p.29- 45.
[17] Commission Othily/Recommandation avril 2006.
[18] Phillip Connor, Jeffrey Passel, Mark Hugo Lopez, « La population d’immigrants non autorisés en Europe se stabilise après avoir atteint un pic en 2016 », in Power Researche Center. 13 November 2019. Disponible sur le site Internet : « https://www.pewresearch.org/global/2019/11/13/la-population-dimmigrants-non-autorises-en-europe-se-stabilise-apres-avoir-atteint-un-pic-en-2016/ », le 15/08/2020.
[19] Costa Le Roux and C. Withol D, Études et Migrations, N°. 63.
[20]Georges Othily et François-Noël Buffet, Immigration clandestine : une réalité inacceptable, une réponse ferme, juste et humaine, Rapport de commission d’enquête au SENA n° 300 (2005-2006).
Voir Terray Emmanuel, Sans papiers : L’archaïsme fatal. Paris, la Découverte et Syros. 1999.
Voire aussi Paolo Cuttitta, « Le monde-frontière. Le contrôle de l’immigration dans l’espace globalisé », Cultures & Conflits, 68 | 2007, 61-84.