Les dynamiques des entreprises artisanales de métiers ancestraux
en Tunisie aujourd’hui
ديناميكيات المؤسسات الحرفية التقليدية في تونس اليوم
د. الشاذلي بية الشطي/جامعة قطر / Dr.Chedli Baya Chatti, Université Qatar
مقال منشور في مجلة جيل العلوم الانسانية والاجتماعية العدد 75 الصفحة 117.
ملخص :
تسلط هذه الورقة الضوء على فئة خاصة من مؤسسات العمل ألا وهي المؤسسات الحرفية التقليدية التي عَرفت، في نهاية القرن العشرين بعد فترة من التراجع والإهمال، العودة بقوة. تُعتبر الحالة التونسية أبرز مثال على ذلك حيث أن النتائج التي يسجلها هذا القطاع على المستوى الاقتصاد يتؤشر على ذلك. تهدف هذه الورقة، بالاستناد على نتائج دراسة ميدانية، لاستخراج خصائص مختلف الديناميكيات التي تنبني عليها وتنتجها هذه النوعية من فضاءات العمل التي تتميز بالحضور القوي للإنسان على حساب الآلة.
توصلت الدراسة إلى مجموعة من الاستنتاجات الكبرى التي يمكن تلخيصها في فكرة رئيسية ألا وهي أن المؤسسات الحرفية التقليدية تتميز بجملة من السمات التنظيمية والبشرية والاجتماعية والثقافية تجعلها مختلفة عن بقية الأنواع الأخرى من مؤسسات العمل والإنتاج. فطرق تنظيمها وإدارة مواردها البشرية وبنيتها الاجتماعية وسماتها الثقافية تجعلها في نفس الوقت قادرة على التعامل بمرونة مع التحولات السريعة للسوق والمساهمة بطريقة مباشرة في الحفاظ على ثقافة المحلية لمجتمع في ظل العولمة الاقتصادية والثقافية المتسارعة.
الكلمات المفتاحية: المؤسسات الحرفية، الحرف التقليدية، تنظيم العمل، إدارة الموارد البشرية، الديناميكيات الاجتماعية- الثقافية.
Résumé :
Ce papier propose d’apporter un éclairage sur les dynamiques structurant un milieu spécifique de travail ; il s’agit des entreprises artisanales de métiers ancestraux. Cette catégorie d’entreprises, qui est considérée le plus souvent comme une survivance du passé, continue de nos jours de coexister avec les entreprises modernes caractérisant les sociétés industrielles. En s’appuyant sur les résultats d’une étude empirique menée en Tunisie, ce papier envisage de dégager les caractéristiques des dynamiques structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux, notamment les dynamiques organisationnelles, managerielles et socioculturelles. L’objectif d’un tel exercice consiste à voir les dynamiques élémentaires des milieux de travail organisés dans la mesure où cette catégorie d’entreprises est une survivance de l’époque préindustrielle. Les résultats de l’enquête empirique montrent clairement que les entreprises artisanales de métiers ancestraux incarnent une logique organisationnelle et des pratiques de gestion de ressources humaines et une culture de travail bien distinguées des autres types d’entreprises.
Mots clé : Entreprise artisanale, Métier ancestral, Organisation du travail, Gestion de ressources humaines, Dynamiques socioculturelles.
Introduction
Après un long passage en vide, le modèle du travail artisanal, caractérisant les sociétés préindustrielles, refait surface dans le contexte de la mondialisation. Ce regain de terrain peut être expliqué, entre autres, par la volonté de conserver la culture locale, menacée par la mondialisation. De même, ce type de travail a constitué pour beaucoup de nations et de classes sociales un moyen pour faire face aux crises économiques provoquées, également, par la mondialisation. La Tunisie constitue un exemple à travers lequel nous pouvons observer cette réalité. Ceci est traduit, entres autres, par le nombre des gens actifs[1] dans le secteur artisanal ainsi que par son poids dans le PIB et les exportations du pays. Ce papier tente de répondre à la question suivante : quelles sont les caractéristiques des différentes dynamiques structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux en Tunisie ?
Le présent papier est structuré en trois grandes parties. La première est dédiée à une présentation des différents cadres de la recherche. Quant à la deuxième, elle est consacrée à l’exposition des résultats de la recherche. Enfin, dans la troisième partie, ces résultats seront discutés.
L’entreprise artisanale de métier ancestrala été pendant longtemps perçue comme synonyme d’évolution tardive et comme survivance du passé dans la mesure où elle est héritée de l’époque préindustrielle. À l’heure de la mondialisation de l’économie, on a cru que ce type d’unités productives serait éliminé définitivement avec la concentration des capitaux, l’évolution des techniques et l’abolition des frontières douanières. Aucun de ces phénomènes n’a contribué à la disparition de ces unités de production. Au moment où on attendait l’éclipse définitive de l’organisation du travail artisanale dans l’économie de production en série (Piore et Sabel, 1984) on assiste à un regain spectaculaire d’intérêt pour l’artisanat.
La Tunisie est l’un des pays où la question de l’artisanat et de la production artisanale est devenue d’une grande actualité. Après avoir été marginalisé pendant les trois premières décennies de l’indépendance (1960-1980), le secteur de l’artisanat est réintégré, vers la fin du vingtième siècle, dans le processus économique du pays. Désormais, ce secteur connaît un intérêt assez important et assez particulier. On assiste à une évolution continue du nombre des entreprises artisanales de métiers ancestraux ; entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2017 ce nombre s’est multiplié de près de 3 : il est passé de 622 à 1979 unités (ONA, 2017 : 6). Dans le cadre d’une recherche empirique visant, principalement, à déterminer les chemins de réussite de cette catégorie spécifique d’entreprise, nous avons eu l’occasion, en autres, de cerner les dynamiques de production qui les différencient des autres types d’entreprises. Alors, quelles sont les caractéristiques des dynamiques structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux en Tunisie ?
- Objectifs de la recherche
Cette recherche poursuit trois objectifs qui découlent de l` objectif principal qui consiste a dégagé les caractéristiques des dynamiques structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux en Tunisie. Les trois objectifs sont :
- Circonscrire les dynamiques structurant l’organisation du travail dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux en Tunisie
- Dégager les dynamiques structurant les pratiques de la gestion des ressources humaines dans ces entreprises.
- Extraire les caractéristiques des dynamiques socioculturelles structurant l’organisation du travail dans ces entreprises.
- L’entreprise artisanale de métier ancestral: une revue de littérature
D’une manière générale, dans les sociétés contemporaines, on distingue deux types d’entreprises artisanales : l’entreprise artisanale de métier et l’entreprise artisanale de modernité. « L’entreprise artisanale de métier » et l’entreprise artisanale « de modernité » (Marchesnay cité par Asquin et Marion, 2005 : 4). Afin d’éviter tout genre de confusion, il est donc important de préciser que ce papier porte uniquement sur les entreprises artisanales de métiers traditionnels.
D’ailleurs, le métier traditionnel constitue la principale caractéristique de ce type d’entreprise (Zarca1987 ; Picard 2006 ; Allard et al. 2008). La littérature en matière d’entreprises exerçant des métiers traditionnels renvoie au terme d’artisanat qui représente une réalité sociologique particulière. L’artisanat exprime les activités ancestrales consacrées à la production manuelle d’objets sans la mise en œuvre de moyens industriels (Ba, 2006). Ceci nous permet de dégager un autre critère d’étiquetage de ce type d’unité de production. Ce critère correspond aux savoirs et aux savoir-faire des individus qui le composent.
Ainsi, les caractéristiques des artisans se présentent comme un critère permettant de distinguer l’entreprise artisanale de métier. D’ailleurs, le métier est toujours présenté en tant que communauté qui détermine à ces individus un ensemble de règles et de devoirs qu’il faut respecter lors de l’exercice professionnel (Tönnies, 1977 ; Alter, 1996).
Outre les compétences et les caractéristiques de son personnel, l’entreprise artisanale se distingue par l’omniprésence de son chef. L’identité de l’entreprise artisanale de métier ancestral se détermine, en effet, en grande partie par la polyvalence de son chef (Paccito et Richomme-Huet, 2004 ;Merlin-Brogniart, 2009). On peut ainsi parler de l’encastrement chef-artisan/ entreprise artisanale de métier ancestral. L’omniprésence du chef artisan dans l’entreprise artisanale est renforcée par la petite taille de ce type d’entreprise (Merlin-Brogniart, 2009 ; Deakins et Freel 2009). D’ailleurs, les entreprises de ce type sont définies, comme de toutes petites entreprises (TPE). D’une part, ce type d’entreprise se caractérise par le nombre réduit de ses membres qui ne dépasse pas 20 personnes, voire moins de 10. D’autre part, les petites entreprises se singularisent par leurs structures très simples (Pacitto et Richomme-Huet, 2004).
Somme toute, l’entreprise artisanale de métier ancestral peut être définie opérationnellement comme une entreprise de très petite taille qui pratique un métier hérité du passé et qui se caractérise par des dynamiques organisationnelles, managériales et socioculturelles qui la distingue des autres types d’unité de production.
- Les dynamiques de l’entreprise : définition opérationnelle
La littérature en matière d’entreprises nous permet de conclure que la production se présente sous la forme d’un processus assez complexe qui comprend trois dimensions principales qui sont : l’organisation du travail, les pratiques de gestion des ressources humaines et les dynamiques socioculturelles.
En ce qui concerne l’organisation du travail, elle est décomposée en deux dimensions : la structure de l’organisation et les unités organisationnelles. D’un point de vue organisationnel, on désigne par structure la manière dont sont organisées ensemble les parties d’un tout (Conso, et Hémici, 2003). « La structure de l’organisation, écrit Henri Mintzberg, est l’ensemble des moyens formels et semi-formels que les organisations utilisent pour diviser et coordonner leur travail de façon à créer des comportements stables » (Mintzberg, 1998 : 18). La structure de l’organisation concerne principalement trois dimensions principales : la division du travail, la hiérarchie et le pouvoir. Quant à la deuxième dimension, les unités organisationnelles, elles concernent les groupes qui contribuent au fonctionnement de l’entreprise.
Relativement aux pratiques de gestion des ressources humaines, il s’agit des outils mobilisés dans les entreprises pour gérer l’ensemble des ressources humaines impliqué dans le processus de la production. Ici deux catégories d’outils peuvent être distinguée, les outils de la gestion individuelle et les outils de la gestion collective (Guerrero, 2019). Le rôle des outils de la gestion individuelle consiste à sensibiliser les différents acteurs aux enjeux productifs de l’entreprise. Tandis que le rôle des outils de la gestion collective consiste à favoriser la coopération et la coordination entre les membres de la communauté du travail. En s’appuyant sur une recherche bibliographique en matière de gestion des ressources humaines, nous avons pu déceler un ensemble assez large d’éléments permettant de mieux comprendre les pratiques de gestion de ressources humaines ; tels que : la gestion des carrières, la gestion des compétences, la gestion des rémunérations, la communication interne, le travail participatif, etc (Hitka and al, 2018).
Au sujet des dynamiques socioculturelles, qui constituent un autre élément composant la dynamique de production dans les entreprises, elles couvrent à la fois le système social ainsi que le système culturel existant au sein de l’entreprise.
Pour le système social, il concerne, selon Raynaud Sainsaulieu (1995) trois éléments :
- Le système d’acteur.
- Le système de relations.
- Le système de régulation sociale.
En ce qui concerne le système cultuel, il correspond à deux éléments :
- La culture du travail qui regroupe les pratiques de convivialités, la mémoire collective et les attitudes en lien avec le milieu de la production.
- L’identité au travail qui englobe les représentations sociales et la socialisation relative au processus de la production.
- Méthodologie
Le parti pris du départ est de collecter des données purement qualitatives permettant de comprendre de l’intérieur les dynamiques qui font l’objet de notre investigation. Concrètement, les données à la base de notre analyse proviennent des entrevues individuelles semi-dirigées et de l’observation directe des situations concrètes de travail dans les unités étudiées.
Au sujet de la première source de données, nous avons effectué 47 entrevues semi-dirigées auprès des personnes évoluant dans des entreprises artisanales de métiers ancestraux. Au sujet de la deuxième source de données, des observations directes des situations concrètes de la production ont été effectuées au sein de4 unités de production.
La sélection des unités étudiées était basée sur les résultats d’une pré-enquête, de la quelle ressort deux principaux constats :
- Les activités ancestrales en Tunisie connaissent deux situations économiques distinctes : des activités en pleine prospérité et d’autres en pleine crise.
- Les activités ancestrales en Tunisie sont pratiquées dans deux différents types d’entreprises : des entreprises domestiques et d’autres non domestiques. En effet, l’échantillon à l’étude se distribue comme suit : les lettres A et B désignent successivement les métiers de la poterie artisanale (un métier en pleine prospérité) et du tapis de sol (un métier en pleine crise), et les chiffres 1 et 2 désignent successivement les entreprises de nature domestique et de nature non domestique.
1 (Entreprise domestique) | 2 (Entreprise non domestique) | |
A: (Poterie) | A 1 | A 2 |
B: (Tapis de sol) | B 1 | B 2 |
- Présentation des résultats
Après avoir cerné dans la première partie les différents cadres de la recherche, la deuxième partie se consacre à la présentation des résultats obtenus à l’issue de l’étude empirique. La présentation des données relatives à chacune des quatre unités à l’étude sera effectuée séparément.
6.1 Les différentes dynamiques de l’entreprise A1
Cette entreprise, qui représente le type d’entreprise domestique dans le métier de la poterie artisanale, a constitué pour nous un milieu adéquat pour repérer les pratiques et les dynamiques les plus élémentaires de la production caractérisant le métier en question. Cette entreprise, qui date de plus d’un siècle est demi, est un héritage familial de trois générations qui s’est transmis de père en fils. Donc, elle représente une entreprise familiale portant une identité artisanale. Ce faisant, tous les membres de la famille sont impliqués dans la production. « Mes quatre enfants, relate le maître artisan, ont appris de moi le métier. Seulement deux d’entre eux m’accompagnent d’une façon permanente et les deux autres ont poursuivi leurs études pour occuper des emplois externes. Ces derniers en cas de besoin ne tardent pas à venir à notre aide pendant leur temps libre ».
6.1.1 L’organisation du travail dans l’entreprise A1
Les observations directes des situations concrètes de la production dans cette entreprise conduisent à conclure que l’organisation du travail se caractérise par la simplicité et la flexibilité. Un tel constat est justifié par les trois points suivants :
- L’absence d’une division spatiale et formelle du travail : les différentes opérations relatives au processus de la production, à l’exception de la cuisson, se déroulent dans la même pièce. De plus, tous les membres de l’entreprise participent aux différentes phases de ce processus. Toutefois, il existe une division informelle du processus de la production en fonction de la disponibilité des membres de la famille, la nature de la tâche, le genre et les commandes reçues.
- La juxtaposition de la hiérarchie de l’entreprise à celle de la famille. De ce fait, la hiérarchie de l’entreprise n’est que celle de la famille.
- La centralisation de la prise de décision : le maître artisan dans cette entreprise se présente comme le centre de gravité du pouvoir. Néanmoins, la centralisation de la prise de décision ne signifie pas que le style de direction adopté soit de type autoritaire. Il est plutôt de type paternaliste. Le père demande d’une façon ponctuelle les avis des membres de sa famille lors de la prise d’une décision. « On a appris de lui la sagesse, alors comment on peut ne pas approuver ses décisions ». (Le gendre du maître artisan).
6.1.2 La gestion des ressources humaines dans l’entreprise A1
Outre que la simplicité de sa structure organisationnelle, cette entreprise se caractérise aussi par la forte importance accordée à la dimension humaine du travail. Un tel constat est issu de l’analyse des expériences et des parcours professionnels des membres de cette entreprise. Cette analyse nous montre que cette dimension constitue l’une des priorités du chef (le maître artisan) de cette unité de production.
En adoptant une méthode de gestion de ressources humaines de type paternaliste, ce maître artisan a réussi à faire des membres de sa famille, un groupe de travail fortement attaché aux enjeux de l’entreprise en particulier et du métier en général. Ceci est rendu possible grâce à deux pratiques :
- La gestion des carrières et des rémunérations. En dépit de l’absence des catégories hiérarchiques, les membres de l’entreprise ont toujours la possibilité d’améliorer leurs situations financières. Deux voies de progression financière peuvent être distinguées dans cette entreprise, à savoir une progression relative aux changements biologiques et sociaux et une autre relative aux réalisations professionnelles de l’individu. Ainsi, à travers cette pratique, on assiste à la combinaison de deux principaux outils de la gestion des ressources humaines : la gestion des carrières et la gestion des rémunérations.
- La gestion des compétences. Cette pratique est traduite principalement par la place importante qu’occupe la formation dans cette entreprise. Pour atteindre le statut d’un artisan, les membres sont obligés de passer par une longue période d’apprentissage.
6.1.3 Les dynamiques socioculturelles dans l’entreprise A1
Sur le plan social, cette entreprise se caractérise par :
- Un système social composé de trois types d’acteurs partageant un enjeu commun qui est la réussite de l’entreprise et la perpétuation du métier. Ces acteurs, qui sont le maître artisan, l’artisan et l’apprenti, se distinguent l’un de l’autre par le degré de maîtrise du métier.
- Un système de relation fortement influencé par les liens de consanguinité reliant les différents membres de l’entreprise.
- Un système de régulation sociale fondé sur la participation et l’intégration. En dépit de la centralisation du pouvoir dans cette entreprise, les différents acteurs contribuent constamment, à travers les négociations et les discussions, à l’actualisation de leur univers de travail. Dans un tel contexte, les normes de la production ainsi que les règles des comportements sont une production propre à l’équipe du travail.
L’analyse des dynamiques sociales, décrites ci-haut, montre que le groupe de travail dans l’entreprise A1 se caractérise par sa forte cohésion ainsi que par son fort attachement au métier. Au sujet de la cohésion du groupe de travail, elle reflète l’existence d’une culture d’entreprise fondée sur l’esprit d’équipe. Ceci témoigne de la présence d’un système de normes et de valeurs favorisant l’apparition des comportements et des attitudes favorables à la coopération et la collaboration dans le travail. Ces faits sont favorisés en grande partie par les pratiques de convivialité qui rythment le vécu quotidien des membres de cette famille dans le travail. Ces pratiques constituent les principaux éléments constitutifs de la mémoire collective de ce groupe de travail.
Néanmoins, l’aspect professionnel demeure de grande importance pour les membres de cette unité. Cette importance se manifeste par le fort sentiment d’appartenance qu’expriment ces membres envers leur métier. Ainsi, le métier constitue le principal pilier culturel dans cette entreprise autour duquel gravite un ensemble de motivations, de représentations et de normes partagées.
En gros, l’entreprise A1 se caractérise par une structure organisationnelle très simple, voir rudimentaire, des pratiques de gestion de ressources humaines essentielles à la motivation des individus au travail et des dynamiques socioculturelles façonnées principalement par la famille et le métier.
- Les différentes dynamiques de l’entreprise A2
L’entreprise A2 représente la nouvelle génération des entreprises de la poterie artisanale. Cette nouvelle génération témoigne de l’évolution qu’a connue le secteur en question au cours des deux dernières décennies.
6.2.1 L’organisation du travail dans l’entreprise A2
À l’encontre de l’entreprise A1, l’entreprise A2 se caractérise par la présence d’une organisation semi-formelle du travail. Toutefois, ceci ne traduit en aucun cas la mise en œuvre des règlements écrits qui déterminent les rôles de tout un chacun ou qui prescrivent les tâches au sein de l’entreprise. Le caractère semi-formel de l’organisation du travail est observé surtout dans l’aménagement de l’espace du travail que dans le fonctionnement de l’entreprise.
En ce qui a trait à l’aménagement de l’espace du travail, cette entreprise est divisée en différents espaces. Cette division spatiale prend la forme d’une chaîne. Outre la division spatiale du milieu de travail, l’entreprise A2 se distingue de l’entreprise A1 par sa composition de plusieurs unités de production. Une telle organisation de travail ne signifie nullement que les membres d’une unité donnée sont spécialisés uniquement dans la tâche qui concerne leur unité. Au contraire, ils disposent aussi des savoirs nécessaires afin d’accomplir les tâches concernant les autres unités.
En dépit de la présence de plusieurs unités organisationnelles, la hiérarchie au sein de cette entreprise peut être qualifiée de simple. Toutes les unités de production sont sous la supervision de deux personnes : le propriétaire de l’entreprise et son frère. De même, il n’existe aucune relation de subordination ni entre les membres ni entre les unités. De plus, les membres de ces unités sont en constante coordination sans le passage par aucun intermédiaire. Ceci signifie que la structure d’organisation dans cette entreprise est de type simple. Un tel constat est justifié d’autant plus par la centralisation du pouvoir de prise de décision. Mais cela ne veut pas dire que la direction dans cette entreprise est de style autoritaire. Elle est plutôt de style consultatif. Ce style demeure l’un des styles de direction les plus appliqués dans les mondes modernes de production (Likert, 1961). De ce fait, cette entreprise appartient, à travers son style de direction, à la catégorie d’unités productives des temps modernes. La flexibilité et la simplicité de la structure de l’organisation, décrites plus haut, restent aussi des témoins de sa possession d’autres traits des entreprises modernes.
- La gestion des ressources humaines dans l’entreprise A2
Quoi qu’on dise, la gestion des ressources humaines constitue un autre élément qui permet de qualifier l’entreprise A2 comme une entreprise moderne. Un tel constat est renforcé par l’application des outils de gestion individuelle et collective mobilisés dans la gestion des ressources humaines.
En ce qui touche les individus, les questions de la gestion des carrières, des compétences et des rémunérations sont au centre d’intérêt du chef de l’entreprise A2. L’analyse des différentes expériences de travail des membres de cette entreprise montre que l’évolution professionnelle du personnel fait l’objet d’une poursuite continue du chef. À travers cette poursuite, il témoigne de sa valorisation de la progression professionnelle dans le travail. Dans la même logique de la motivation des individus à l’évolution dans l’apprentissage et à l’innovation, le chef de l’entreprise a mis en œuvre un système de rémunération axé principalement sur les performances individuelles.
Pour le collectif du travail, l’entreprise A2 se caractérise par une facilité et une organisation au niveau de la communication interne d’une part, et une forte présence de la culture du travail participative d’autre part. Un tel constat confirme l’application dans cette entreprise des outils de la gestion des ressources humaines des temps modernes dans la mesure où la communication interne et le travail participatif constituent l’une des préoccupations majeures de ce type de gestion.
- Les dynamiques socioculturelles dans l’entreprise A2
Pour ce qui est des dynamiques sociales, l’entreprise A2 est marquée par la présence d’un système d’acteurs constitué de cinq types d’acteurs : le maître artisan, l’artisan, le compagnon, l’apprenti et l’ouvrier. En dépit de leurs appartenances à divers types d’acteurs, les membres de cette entreprise partagent un enjeu en commun qui se centre autour de la réussite de l’entreprise d’une part, et de la perpétuation du métier de la poterie artisanale d’autre part. À cet égard, on cite successivement les propos de deux membres appartenant à deux catégories distinctes ; un maître artisan, et un artisan : «Chaque membre peut contribuer de sa place au rayonnement de l’entreprise. Si chacun de nous accomplit sa tâche dans les règles de l’art la réussite de l’entreprise et la survie de notre métier seront garanties ». « Le sort de l’entreprise dépend de nous tous. Il est important que chacun fasse son travail correctement pour qu’on puisse assurer la pérennité de la demande sur les produits artisanaux ».
Le système de relations régnant au sein de cette entreprise confirme cette idée. Ce système se caractérise par la richesse des rapports et des interactions dans le travail. Les pratiques quotidiennes et les discours des membres témoignent de la présence d’un esprit-maison, de la sociabilité très intense au sein de cette unité et de l’attachement très fort à l’entreprise et à son histoire. Ceci est favorisé, sans aucun doute, par le système de régulation sociale se basant, essentiellement, sur la participation et l’intégration et non pas sur l’exclusion et la sanction. Toutefois, il existe un système de normes et de valeurs nettement remarquable qui guide les différents acteurs dans leurs comportements et qui influence leurs attitudes.
En raison de ce qui précède, le métier et le groupe de travail constituent ensemble les principales sources des normes et des valeurs qui régissent le vécu et les dynamiques sociales des acteurs au sein de cette entreprise. D’ailleurs, ces deux éléments (le métier et le groupe du travail) représentent les principales sphères d’identification des individus au sein de cette entreprise.
Dans l’ensemble, l’entreprise A2 se caractérise par une organisation du travail assez moderne, par des pratiques de gestion des ressources humaines développées et par des dynamiques socioculturelles reflétant le fort attachement du groupe de travail au métier. Ainsi, la modernisation de l’organisation et de la gestion des Hommes dans cette entreprise s’inscrit dans une logique de développement et non dans une logique de rupture avec le métier.
- Les différentes dynamiques de l’entreprise B1
Cette entreprise, qui représente le type d’entreprise domestique dans le métier du tapis artisanal, reste parmi les rares entreprises domestiques enregistrées au répertoire de l’Office National de l’Artisanat. Elle obéit donc au cadre réglementaire régissant les entreprises artisanales en Tunisie.
6.3.1L’organisation du travail dans l’entreprise B1
Sur le plan organisationnel, l’entreprise B1 est constituée d’une seule unité de production qui regroupe tous les membres évoluant dedans. Pour autant, il existe une certaine division de travail. Cette division, qui est faite en fonction des compétences professionnelles des membres de l’entreprise, concerne uniquement les tâches et non pas l’espace du travail. Effectivement, cette entreprise se composait d’une seule pièce. Dans cette dernière, faisant partie de la maison de la propriétaire, se déroulent les deux opérations principales de la production : l’ourdissage et le tissage.
À propos de la tâche d’ourdissage[2], c’est la chef d’entreprise toute seule qui la prend en charge. Relativement au tissage, elle se décompose de quatre activités principales qui font ensemble un cycle répétitif[3]. Cette tâche est effectuée par tous les membres de cette entreprise y compris la chef.
La place éminente qu’occupe la chef dans cette entreprise est traduite, également, par la forte centralisation du pouvoir. Les autres artisanes n’ont qu’a exécuté la tâche de tissage sans donner avis sur le reste du processus de la production. Cette hiérarchie peut être qualifiée de très simple puisqu’elle est composée de deux catégories : la chef d’une part et les artisanes qui travaillent avec elle d’autre part.
- La gestion des ressources humaines dans l’entreprise B1
Outre la simplicité de son organisation, l’entreprise B1 se caractérise par une négligence totale de la gestion de la dimension humaine. Aucun des outils de gestion de ressources humaines, à l’exception de la gestion des rémunérations, n’a été repéré dans la présente unité de production.
Pour ce qui est de la gestion des individus au sein cette entreprise, il n’existe aucune façon à travers laquelle les membres peuvent réaliser une mobilité professionnelle ou financière. Dans une telle situation, il devient évident de ne pas prendre en considération le développement des compétences au sein de l’entreprise. Toutefois, un outil important de la gestion des ressources humaines marque sa forte présence dans cette entreprise. Cet outil concerne la gestion des rémunérations. Dans la présente entreprise les artisanes sont payées selon leurs réalisations professionnelles. Elles sont payées en fonction du nombre de rangées tissées.
Relativement au collectif du travail, l’entreprise B1 est marquée par l’absence étonnante d’une culture du travail qui valorise le travail collectif constituant, entre autres, l’une des caractéristiques majeures des métiers hérités du passé. L’analyse des discours des artisanes se rapportant au collectif du travail et l’observation des situations concrètes de la production montrent que l’esprit individualiste constitue une caractéristique commune à l’ensemble des membres de cette entreprise. En plus de la carence des pratiques du travail participatif, la communication interne constitue un autre indicateur de l’omission des outils de la gestion du collectif du travail dans cette unité. La seule communication d’ordre professionnelle qui peut avoir lieu est de nature descendante. Le contenu de cette communication est toujours un ordre d’exécution dicté par la chef à une artisane.
- Les dynamiques socioculturelles dans l’entreprise B1
La tentative de comprendre les logiques de fonctionnement social, structurant et régissant les dynamiques socioculturelles de l’entreprise, a abouti au constat le plus remarquable de l’enquête réalisée dans l’entreprise B1. Ce constat réside dans le rapport relativement instrumental au travail que manifestent les artisanes évoluant dans cette unité de production. Pour appuyer ce constat, on cite les propos d’une artisane âgée de 40 ans et qui travaille depuis 8 ans dans cette entreprise. « Je travaille seulement pour avoir un revenu supplémentaire car le salaire de mon mari reste insuffisant pour couvrir les besoins de nos trois enfants. D’ailleurs, si mon mari trouve un emploi plus rentable j’arrêterais immédiatement le travail pour s’occuper plus de mon foyer ».
Ainsi, le milieu du travail et l’activité professionnelle représentent des moyens pour garantir un minimum de revenu et non pas des sphères pour acquérir une identité. Cependant, il ne faudrait pas voir dans ceci un désintérêt total au groupe du travail. Ceci se manifeste, essentiellement, dans la richesse des rapports sociaux développés. Mais ces rapports sont totalement en dehors de l’activité professionnelle.
Cette vocation purement sociale des relations dans cette entreprise est favorisée par le système de régulation et d’intégration sociale qui les sous-tendent. Ce système ne prend pas le travail comme élément d’intégration ou de régulation sociale dans l’entreprise. Les pratiques de convivialité, marquant une grande richesse et se ne rapportant en aucun cas au processus de la production, constituent le facteur à travers lequel les différents membres sont intégrés dans l’entreprise.
Au total, l’entreprise B1 se caractérise par une organisation de travail très rudimentaire, une absence totale des outils de gestion de ressources humaines et des dynamiques socioculturelles régies uniquement par le groupe du travail et non pas par le métier.
- Les différentes dynamiques de l’entreprise B2
L’entreprise B2, appartenant à la nouvelle génération d’entreprises de tapis de sol, est installée dans un méga local qui obéit à une structure organisationnelle assez formelle et se décompose en différentes unités organisationnelles. Bref, l’entreprise B2 constitue un exemple où on observe la pratique d’un métier artisanal ancestral dans un contexte organisationnel non artisanal.
6.4.1L’organisation du travail dans l’entreprise B2
À propos de la division du travail, l’entreprise B2 se caractérise par une division des tâches et des activités relatives au processus de la production. En plus de la division de ces tâches, l’espace du travail est composé de cinq pièces séparées. Ainsi, les tâches sont divisées minutieusement et les activités sont séparées spatialement.
Au sujet de la hiérarchie, l’entreprise B2, à l’encontre des entreprises A1, A2 et B1, fonctionne selon un organigramme bien déterminé. Cet organigramme se compose de quatre catégories hiérarchiques : le chef d’entreprise, les chefs d’unités de production, les chefs de lignes de production et les artisanes. En dépit de cette ligne soit de type très court, ceci n’empêche pas la présence d’un système de pouvoir. Ce système est typiquement autoritaire. Ceci se manifeste principalement dans la prise des décisions se rapportant à la production. La prise de décision est totalement monopolisée par la chef de cette entreprise. « On n’étaient jamais consulté lors de la détermination des modèles de tapis à réaliser. Le chef nous prescrit les modèles. Par la suite, en tant que chef de ligne je transmets le message aux artisanes de production. (Chef de ligne âgée de 43 ans) ».
Relativement aux unités organisationnelles composant la présente entreprise, elles sont de deux ordres : 1) l’unité d’ourdissage et 2) l’unité de tissage. La coordination entre ces deux unités s’effectue via l’interaction directe entre les chefs de ces unités.
- La gestion des ressources humaines dans l’entreprise B2
Toutefois, l’application d’un modèle organisationnel assez moderne ne s’accompagne pas par la mise en œuvre des outils de gestion de ressources humaines modernes dans l’entreprise B2. Ce constat est justifié par l’absence d’une méthode ou d’une politique qui veille sur la motivation et la stimulation de l’ensemble du personnel au travail. Une telle situation témoigne avant tout de la négligence totale de la dimension humaine dans cette entreprise. Cette négligence concerne tant de la gestion des individus que de la gestion du collectif de travail.
- Les dynamiques socioculturelles dans l’entrepriseB2
L’un des constats les plus importants de l’enquête réalisée dans l’entreprise B2 réside dans l’esprit purement individualiste régnant à l’intérieur. Certes, l’absence des outils de la gestion collective des ressources humaines constitue l’une des causes principales de la présence d’un tel type d’esprit dans cette entreprise. Néanmoins, cette absence n’explique pas toute seule un tel état de lieux. L’analyse des discours des artisanes interviewées amène à une explication plus pertinente. Cette explication se réfère au rapport qu’entretiennent ces artisanes au travail. Comme dans le cas de l’entreprise B1, le travail représente, pour les artisanes de l’entreprise B2, uniquement un moyen de substance (un salaire) ni plus ni moins.
Ainsi, les membres de l’équipe du travail ne manifestent aucune implication affective envers le métier et l’entreprise. L’observation et l’analyse des différents systèmes régissant ces deux dynamiques témoignent de cette réalité. Pour ce qui est des systèmes qui régissent les dynamiques sociales, notamment les systèmes d’acteurs, de relations et de régulation et d’intégration sociale, ils fonctionnent sur des bases proprement économiques. D’ailleurs, l’analyse des dynamiques culturelles régnant dans cette entreprise confirme cette réalité. Ces dynamiques sont fortement marquées par une culture d’entreprise caractérisée par la présence très forte de l’esprit individuel dans le travail. Parallèlement à cet esprit individuel, les dynamiques culturelles dans cette entreprise sont marquées par un système d’identification centré autour des valeurs économiques, notamment le salaire, et non autour des valeurs qui se rattachent au métier et à l’entreprise. Cette situation est due, principalement, à la socialisation dans cette entreprise. Cette socialisation ne concerne que l’activité productive et ne s’étend pas à d’autres actions en lien avec cette activité.
Pour finir, l’entreprise B2 se caractérise par une structure d’organisation très rigide et une multiplicité d’unités organisationnelles, une négligence totale des pratiques de gestion de ressources humaines et des dynamiques socioculturelles qui sont centrées autour des valeurs économiques et non pas des valeurs et des normes qui font référence au métier et au groupe du travail.
- Discussion des résultats
Les données présentées ci-haut nous permettent, de déduire que les dynamiques structurant les entreprises de métiers ancestraux sont loin d’être identiques. Les différentes réalités rencontrées dans les quatre entreprises étudiées nous montrent que ces dynamiques sont déterminées à la fois par le type d’entreprise (domestique/ non domestique) et par les caractéristiques du métier. Toutefois, les réalités dans les quatre entreprises en question témoignent, également, de la présence de certaines régularités dans ces entreprises indépendamment de leurs types et leurs métiers pratiquées. Ceci concerne l’organisation du travail, les pratiques de gestion des ressources humaines et les dynamiques socioculturelles.
7.1 Les dynamiques organisationnelles dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Deux principales variables ont été retenues dans le cadre de cette recherche pour dégager les caractéristiques des dynamiques organisationnelles structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux. Ces variables sont la structure de l’organisation et les unités organisationnelles. Dans les quatre cas étudiés les deux variables en question marquent une certaine constance malgré leur appartenance à deux différents types d’entreprise artisanales de métiers ancestraux et à deux différents corps de métier.
7.1.1La structure de l’organisation dans les entreprises artisanales de métiers
En ce qui concerne la structure de l’organisation, représentant une dimension principale de l’organisation du travail, elle se caractérise par sa simplicité et sa légèreté dans la majorité des cas étudiés, notamment dans A1, A2 et B1. Dans ces entreprises nous avons remarqué la quasi absence de la division technique formelle et spatiale de l’activité de production. Une telle configuration organisationnelle agit directement sur les relations interpersonnelles en dehors et dans le travail. Dans les 4 entreprises étudiées, indépendamment du métier et de leur catégorie d’appartenance, ces relations sont de type empathique et non pas de type bureaucratiques. Cette réalité n’est seulement pas la résultante de la logique organisationnelle de nature informelle, mais aussi elle est le fruit de la courte longueur de la ligne hiérarchique. Ceci témoigne de l’absence de plusieurs catégories hiérarchiques au sein des entreprises artisanales de métiers ancestraux. Dans le même ordre d’idée, une autre caractéristique relative à ce type de structure organisationnelle a été repérée dans les quatre entreprises étudiées. Il s’agit de la centralisation de la prise des décisions qui représente un indicateur du pouvoir dans les organisations. Ce pouvoir dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux est entièrement entre les mains du propriétaire de l’entreprise qui est en général un maitre artisan. En définitif, la structure de l’organisation dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux est de type légère tel il est décrit par Henri Mintzberg. Selon ce dernier, les caractéristiques de la structure organisationnelle légère sont : l’absence de la division technique et spatiale du travail, les relations de proximité, la courte ligne hiérarchique et la centralisation du pouvoir (Mintzberg, 1998).
7.1.2Les unités organisationnelles dans les entreprises artisanales de métiers
Au sujet des unités organisationnelles, qui constituent la seconde dimension de la variable de l’organisation du travail qui nous intéresse dans cette partie, elle est rendu opérationnelle grâce à la mobilisation de trois éléments : 1-l’organisation de l’unité de production, 2-le contenu du travail et 3-les relations entre les unités. Ces derniers nous ont permis, également, de dégager les linéaments de l’organisation du travail dans les milieux de production pratiquant des métiers hérités de l’époque préindustrielle. La réalité du terrain montre l’absence formelle des unités organisationnelles formelles. Pourtant, cette même réalité nous a montré la présence des unités organisationnelles informelles. Ces dernières sont imposées par le processus de la production qui exige la séparation des différentes étapes qui le composent. En fait, la séparation entre la conception et l’exécution dans ce type d’entreprise n’existe pas. Une telle situation rend le contenu du travail assez riche pour tous les membres de l’entreprise qui sont formés pour être polyvalent. D’ailleurs, la centralité du facteur humain demeure une autre caractéristique organisationnelle des entreprises objets de notre recherche. Dans ces dernières, les relations entre les unités organisationnelles, et grâce à leur existence déstructurée, ne sont pas organisées seulement sur des bases techniques mais aussi sur des bases socioculturelles relatives au métier et au groupe du travail.
En somme, le figurenuméro1récapitule les caractéristiques des dynamiques organisationnelles structurant les entreprises artisanales de métiers ancestraux.
7.2La gestion des ressources humaines dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Deux principales variables ont été retenues, rappelons-le, dans le cadre de cette recherche pour dégager les caractéristiques des dynamiques de la gestion des ressources humaines dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux. Ces variables sont les outils de la gestion individuelle et les outils de la gestion collective. Ici on a pu distinguer entre deux cas de figures complètement contradictoires. Dans le premier cas, qui concerne le métier de la poterie artisanale, ces deux catégories d’outils marquent une véritable et grande présence. Alors que dans le métier du tapis de sol, qui représente le deuxième cas de figure, ces outils sont quasi absents. Une telle situation ne peut être expliquée en aucun cas par l’aspect artisanal du travail ou le caractère ancestral du métier. Mais plutôt elle dépend principalement de la conscience de l’importance de la gestion des ressources humaines chez les propriétaires des entreprises qui sont, comme déjà mentionné, les plus déterminants dans le fonctionnement de l’entreprise artisanale de métier ancestral. Au-delà de cette situation et en se basant sur l’étude des mémoires collectives relatives aux métiers de la poterie artisanale et du tapis du sol, nous pouvons avancer que la gestion des ressources humaines n’est pas une invention de l’époque industrielle, mais elle trouve ses origines dans l’époque qui l’a précédé. Ceci concerne tant les outils de la gestion individuelle que les outils de la gestion collective.
7.2.1 Les outils de la gestion individuelle dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Relativement aux outils de la gestion individuelle, on assiste à la mise en place des instruments permettant de motiver les membres de l’entreprise au travail, à l’innovation et la créativité. Ceci se manifeste principalement à travers plusieurs types d’outils ; tel que la gestion de la rémunération, la gestion des compétences et la gestion des carrières. Les outils en question peuvent être considérés comme une invention de l’époque préindustrielle où le facteur humain été à la fois le centre du monde. Ceci est clairement observable dans les quatre entreprises étudiées. En dépit de la variance au niveau de la mise en œuvre des outils de gestion individuelle dans ces entreprises, le présent et l’avenir de l’individu est toujours pris en considération. Dans ces milieux spécifiques de travail le mangement des ressources humaines et typiquement familial. En effet, la gestion des individus dans les entreprises objet de notre papier n’est pas une gestion guidée uniquement par les intérêts économiques, mais aussi par les intérêts sociaux de la famille qui passe principalement par la réussite de tous ces membres dans les différentes sphères de la vie. Ceci parait plus nettement lorsqu’il s’agit de la gestion collective.
7.2.2 La gestion collective dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Corrélativement à la gestion collective, les entreprises étudiées nous ont permis de dégager les formes élémentaires de cette dimension de la gestion des ressources humaines. L’absence des divisions techniques et spatiales des tâches a donné naissance à plusieurs phénomènes qui sont aujourd’hui considéré comme des outils de gestion collective. Le travail d’équipe, qui est parmi les outils de gestion collective, apparait dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux sous plusieurs aspects, tel que la cohésion du groupe, le travail participatif et la circulation facile des informations au sein de l’entreprise. Ces manifestations présentées dans la littérature moderne de la gestion de ressources humaines sont considérées comme des instruments indispensables pour favoriser le travail d’équipe qui constitue dans le temps moderne une nécessité pour la réussite de l’entreprise (Mucchielli, 2019). D’ailleurs, la cohésion du groupe et le travail participatif figurent parmi les valeurs structurant les entreprises artisanales et les métiers ancestraux.
Somme toute, le figure numéro 2 résume les caractéristiques des dynamiques de la gestion des ressources humaines dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux.
7.3 Les dynamiques socioculturelles dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Pour dégager les caractéristiques des dynamiques socioculturelles au sein des entreprises artisanales de métiers ancestraux nous avons divisé cette variable en deux dimensions : le système social et le système culturel. Ces deux systèmes constituent une partie intégrante du processus de production dans n’importe quel type d’entreprise (Osty, Sainsaulieu, Uhalde, 2007), nous a permis encore une fois de constater la singularité du type d’entreprise en question comparativement des entreprises d’autres types.
7.3.1 Le système social dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
Au sujet du système social, dans la majorité des cas étudiés, ce dernier se caractérise par la richesse dans la mesure où il existe plusieurs types d’acteurs agissant dans les différentes phases liées au processus de la production ainsi que dans les autres processus qui lui sont attachés. Cette richesse, qui caractérise le système d’acteurs dans l’entreprise artisanale de métier ancestral, ne constitue en aucun cas un obstacle devant la construction des liens socioprofessionnels assez diversifiés. Ainsi le système relationnel, à l’instar du système d’acteurs, dans les entreprises en question est riche. Une telle réalité, qui concerne l’ensemble des entreprises étudiées, est favorisée principalement par deux principaux facteurs. D’une part, la majorité des acteurs existant partagent les mêmes enjeux. Ici on distingue deux types d’enjeux. Dans certains cas c’est l’enjeu de la perpétuation du métier qui prévaut. Dans d’autres cas c’est la réussite économique de l’entreprise qui domine. De l’autre part, l’interdépendance entre les différentes phases de production a rendu le système relationnel assez riche. Les relations, qui structurent ce système, sont basées sur la coopération et la solidarité. En fait, ces relations dépassent le cadre professionnel pour constituer des relations sociales fondées sur le partage. Ainsi, l’entreprise artisanale de métier ancestral constitue un véritable milieu de socialité. Cette situation est consolidée par le système de régulation sociale qui est régi, à des degrés variables, par les logiques d’intégration et de participation. Ces logiques s’accompagnent dans le contexte étudié par la mise en œuvre des mécanismes orienté vers l’apprentissage progressif et non pas vers la productivité immédiate. Ces caractéristiques des systèmes d’acteur, relationnel et de régulation sociale permettent de conclure que le système social dans le type d’entreprise en question est assez souple et assez flexible. Toutefois cette souplesse et cette flexibilité varient d’une entreprise à une autre et d’un corps de métier à autre s’influençant par la conjoncture économique par laquelle passe le métier ainsi que son système culturel.
7.3.2 Le système social dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux
À propos du système culturel dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux, les situations rencontrées dans les quatre cas étudiés nous montrent clairement que la culture d’entreprise détermine, en grande partie, les conduites des individus lors de l’exercice professionnel. Cette culture est déterminée par les situations de travail dans l’entreprise. Ces situations influencent directement les rapports des individus à leurs métiers ainsi qu’à leurs entreprises. Toutefois, ces rapports dépendent également des pratiques de la gestion des ressources humaines. Dans le cas des entreprises A1 et A2, où une grande importance est accordée à la socialisation au travail et au métier, les individus partagent des pratiques de convivialité qui consolident leurs attachements et leurs sentiments d’appartenance à l’entreprise et au métier. Dans le cas des entreprises B1 et B2, où les individus manifestent des attitudes négatives envers leur métier ainsi qu’envers leurs entreprises, les dynamiques culturelles sont presque absentes. Ceci peut être expliqué à la fois par le rapport purement instrumental au travail et par la négligence totale de l’investissement dans la mémoire collective. Cette dernière représente, dans l’autre cas (A1 et A2), avec les pratiques de convivialité les éléments à la base d’un système culturel sont fortement ancrés dans les situations concrètes du travail et dans la mémoire collective en lien avec le métier. Ceci dit que le métier et l’entreprise se présentent comme deux sphères où les individus peuvent acquérir une identité non seulement professionnelle, mais aussi sociale. Deux types d’identités en lien avec ces entreprises peuvent être dégagés :
- L’identité du métier : Cette identité est construite, principalement à travers la transmission intergénérationnelle des différentes normes et valeurs en lien avec le métier.
- L’identité fragmentée: Cette fragmentation est principalement la résultante de l’absence de l’innovation dans le travail. En un mot, cette identité exprime la volonté d’en tirer profit du métier dans le présent sans investir dans son modernisation.
Finalement, on peut distinguer entre deux types de systèmes culturels dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux : un système régit par des normes et valeurs en lien directe avec le métier et son histoire et un autre régi par des normes et valeurs purement économiques.
Par conséquent, le figure numéro 3 résume les caractéristiques des dynamiques socioculturelles dans entreprises artisanales de métiers ancestraux.
Somme toute, nous pouvons conclure que les dynamiques qui caractérisent les entreprises artisanales de métiers ancestraux marquent une certaine régularité, surtout lorsqu’ il s’agit de l’organisation du travail, des pratiques de gestion des ressources humaines et des dynamiques socioculturelles. Sur le plan organisationnel, l’entreprise artisanale de métier ancestral se caractérise par sa structure assez légère et assez simple. En fait, la structure organisationnelle dans nos entreprises à l’étude est typiquement artisanale. Cette réalité se manifeste, également, dans les dynamiques en lien avec la gestion des ressources humaines. Ces dynamiques sont structurées, dans la majorité des cas, par des outils de gestion individuelle et des outils de gestion collective. Grace à cette logique de gestion de ressources humaines c’est l’esprit familial qui règne dans les entreprises artisanales de métiers ancestraux. Cet esprit se manifeste principalement dans les dynamiques sociales occasionnées par le travail.
Ces dynamiques sont fortement structurées par des relations socioprofessionnelles caractérisées par la coopération et l’entraide entre les différents types d’acteurs agissant ensemble dans le contexte en question. Ainsi, le système social se présente, également, comme un autre trait de l’identité de l’entreprise artisanale de métier ancestral. À ceci s’ajoute le système culturel qui représente un autre trait à travers lequel ce type d’entreprise peut être distingué des autres types. Grace à ce système, les dynamiques culturelles sont régies par des normes et valeurs liées principalement au métier et à son histoire.
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[1] L’office National de l’Artisanat estime que plus de 350000 personnes évoluent dans le secteur de l’artisanat en Tunisie.
[2] Elle consiste à la préparation de la chaîne sur laquelle sera tissé le tapis. Cette tâche requiert un ensemble de savoirs et de techniques qui diffèrent des savoirs et des techniques requis pour le tissage
[3] Les activités qui composent la tâche de tissage sont : 1- l’enroulement du fil de la laine autour des deux fils du coton qui constitue la chaine. Cette activité est dite nouage dans la mesure à son issue se façonnent les nœuds qui constituent le tapis 2- L’insertion d’un fil, appelé fil de trame, pour séparer les rangées de nœuds. En générale, chaque deux rangée de nœuds sont séparées par un fil de trame. 3-Le tassage des rangs de nœuds et des fils de la chaîne à la fin de chaque rangée de nœuds du tapis. Le coupage du surplus de la laine une fois une rangée est nouée.