
L’indépendance de la Cour Pénale Internationale (CPI) :
Mythe ou réalité?
Hicham BERJAOUI, Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales (FSJES) Ain Chock Université Hassan II Casablanca – Maroc.
مقال نشر في مجلة جيل الدراسات السياسية والعلاقات الدولية العدد 12 الصفحة 107.
ملخص :
يُعتبر إحداث المحكمة الجنائية الدولية منعطفا هاما في مسار تقوية التطبيق الفعلي للقانون الدولي الذي لم يتمكن بعد من التخلص من سيطرة الدول التي تفضل إخضاع العلاقات القائمة فيما بينها إلى التفاوض السياسي بدل إخضاعها إلى منظومة قانونية ملزمة و متراصة قد تقلص من قدراتها على حماية مصالحها السياسية و الاقتصادية.
ما من شك أن إسناد مهمة مراقبة احترام قواعد القانون الدولي إلى مؤسسات ذات طبيعة قضائية، على غرار المحكمة الجنائية الدولية، إجراء أساسي يعزز التحول البنيوي الذي يكتنف النظام القانوني الدولي من خلال ربطه، تدريجيا، بمبادئ الإلزام و المسؤولية و المحاسبة. بيد أن آليات اشتغال هذه المحكمة و خاصة العلاقات التي تربطها بمجلس الأمن التابع لمنظمة الأمم المتحدة تقوض استقلاليتها و طبيعتها القضائية كما تجعلها متماهية مع التأثيرات السياسية التي من الممكن أن يمارسها عليها الأعضاء الدائمون بمجلس الأمن.
كلمات مفتاحية : التأطير القانوني للعلاقات الدولية – استقلالية المحاكم الدولية – تسييس القانون الدولي.
La création de la Cour Pénale Internationale (CPI) constitue une avancée majeure dans le processus de consolidation de l’effectivité normative du Droit international qui peine à sortir de l’omnipotence des arrangements inter-étatiques qui privilégient la régulation politique à celle faisant intervenir la règle juridique.
La mise en place d’institutions à caractère juridictionnel, à l’image de la CPI, auxquelles échoit la mission de protection du respect des normes internationales, ne peut que renforcer la restructuration de l’ordre juridique international en le soumettant aux principes de responsabilité et de reddition des comptes.
Toutefois, les mécanismes de fonctionnement de la CPI, et notamment les rapports qui la lient au Conseil de sécurité (CS) de l’Organisation des Nations Unies (ONU), fragilisent son indépendance et affaiblissent son caractère d’autorité juridictionnelle en la tendant vulnérable aux interventions politiques des membres permanent du CS.
Mots-clés : Régulation juridique des relations internationales – Indépendance des juridictions internationales – Politisation du Droit pénal international.
Introduction
La création de la Cour Pénale Internationale (CPI) s’inscrit dans les profondes mutations ayant affecté les soubassements du Droit international qui est devenu, de ce fait, davantage attentif au rôle de l’individu et ce, après avoir été pendant longtemps le temple fermé, « superstructurel » et « holiste »[1] des affaires inter-étatiques dans lequel l’existence de l’individu n’était qu’exceptionnellement repérée.
Loin et désuète est, donc, l’époque de la réussite classique du Droit des gens initié par les traités de Westphalie du 24 octobre 1648. Ce Droit international classique se présentait en tant que corpus juridique destiné à pacifier les rapports reliant les Etats. Il apparaissait, dans les faits, comme une règle supplétive dont l’effectivité normative dépendait d’une acceptation contractuelle et conventionnelle préalable. Pour justement conférer une sorte de puissance emphatique au consensualisme circonscrivant le Droit international classique, il est stipulé dans les traités pré-cités : « nulle loi ou interprétation de loi, nulle déclaration de guerre d’Empire, nulle paix ou alliance d’Empire, nulle taxe, levée, construction de forts, etc., ne peut avoir lieu sans le consentement des co-États réunis en diète »[2].
L’ordre juridique issu des traités de Westphalie a été perçu par les internationalistes comme le prélude de la genèse de l’Etat-Nation dans la mesure où il a instauré une nouvelle conception de la souveraineté qui s’est substituée à la définition factuelle assimilée à la force militaire. Or, dans l’état actuel des rapports internationaux, la stabilité planétaire se veut l’affaire du monde « d’ici-bas », animé par les comportements individuels (les chefs d’Etats, les hauts gradés de l’armée, les dirigeants d’organisations terroristes, les militants des droits humain etc.) et se détache, de ce fait, de la tutelle étouffante du monde de « là-haut » que représentent les relations strictement inter-gouvernementales.
L’individualisation du Droit international, selon toutes les acceptions qu’elle puisse revêtir, fut pendant longtemps scandée par des mobilisations et structures sociales que crée l’initiative individuelle, à l’image des ONG, tant locales que planétaires, qui considèrent que le Droit international général (DIG) est désormais incapable de rendre compte d’une évolution fondamentale des relations internationales, laquelle évolution se matérialise principalement dans l’irruption qu’a fait l’individu sur l’échiquier des interactions et rapports mondiaux.
Il est vrai que l’ordre juridique westphalien a mis fin à l’ordre médiéval et ce, par le biais de la création des bases premières des temps modernes, et de la souveraineté étatique. Mais, il n’est pas difficile, tout de même, de constater que la souveraineté telle qu’elle est accréditée par le DIG se voit altérer par l’usure du temps. En effet, son caractère substantiellement « holiste » et « superstructurelle » l’entache d’anachronisme et de déphasage vis-à-vis de la montée continuelle de l’action individuelle, accompagnée de mobilisations collectives[3] qui ne manquent pas d’influencer le dispositif juridique international.
Le monde d’aujourd’hui se présente comme une société internationale composée d’une pluralité d’acteurs qui s’interagissent de façon bien évidemment inégale. Autrement dit, le monde est un système hétéroclite au sein duquel l’individu « constructeur », donc, réclamant des droits et des libertés, et « prétendu coupable », auteur d’infractions contre l’Humanité, jouent un rôle loin d’être surabondant.
En d’autres termes beaucoup plus succincts, « le Droit international public s’intéresse de plus en plus aux individus et, donc, ne se limite plus aux seules relations inter-étatiques »[4]. Les Etats étaient pendant longtemps les acteurs les plus influents qui accaparaient l’échiquier mondial. Néanmoins, et compte tenu des bouleversements, tous azimuts, en particulier l’émergence et la fortification de la société civile interne et internationale – composée de personnes morales de Droit privé faut-il le remarquer[5] -, prétendre que les Etats continuent de s’arroger la scène internationale n’est plus de mise. « Le droit international n’est plus cette discipline ésotérique qui se dérobait au commun des mortels, il parle un langage plus humain, il est descendu de l’Olympe pour se mêler à la foule »[6].
Aussi est-il important d’observer, à la suite de plusieurs spécialistes, que la théorie de la préservation de la paix internationale a notoirement changé. Durant la seconde moitié du siècle passé, marquée par la mise en place du système onusien, elle –la théorie de la paix – était tributaire du principe de l’autonomie constitutionnelle des Etats, tel que posé par les 1er et 7ème paragraphes de l’article 2 de la Charte des Nations-Unies, consacrés respectivement à l’égalité souveraine et au respect de la compétence nationale ou « domaine réservé » des Etats[7]. Il s’ensuit que, quelle qu’elle soit la forme constitutionnelle du gouvernement, le Droit international n’en exige que l’effectivité du pouvoir pour qu’il le reconnaisse. Toutefois, dans des situations diverses, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, l’intervention de l’ONU et des puissances occidentales dans la formation des gouvernements et des révisions constitutionnelles, a conduit une partie de la doctrine à employer l’expression épineuse d’ « internationalisation du pouvoir constituant ».
La régulation des relations internationales, donc, la quête de la paix, par le jeu des alliances politiques, correspondant au bipolarisme révolu, s’est effritée au profit d’une régulation par la démocratisation comportant, entre autres corollaires, la judiciarisation. D’où la création de juridictions permanentes, découlant de l’idée d’une justice universelle stable et pérenne et, du coup, institutionnalisée, chargées de protéger l’effet contraignant des normes internationales. Ainsi, l’inobservation des engagements nés des conventions et traités relatifs aux droits humains, est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur – l’Etat -, il en est de même pour les violations au Droit international humanitaire (DIH) dont l’auteur peut se voir infliger un sort coercitif. C’est dire en propos conclusifs, à l’instar de l’Etat, l’individu est quasi-largement justiciable du contentieux international dans lequel la CPI jouit d’une place déterminante.
Bien qu’il se rapporte aux efforts engagés pour assurer l’effectivité normative du Droit international, tant le fonctionnement de la CPI que sa compétence, posent de manière entière le problème de son indépendance. L’immiscion des Etats dans le procédé de désignation des magistrats, et du Conseil de Sécurité de l’ONU dans celui de la saisine de la Cour, transforment le statut juridique de cette dernière en en faisant, en pratique, une juridiction mi-politique qui ligote le juge, et qui affaiblit le processus de création de ce qu’Emmanuelle JOUANNET, à l’instar de plusieurs spécialistes, dénomme : « le tiers pouvoir international »[8], dont le vicaire serait un juge indépendant, tiers et désintéressé par rapport aux intérêts poursuivis par les autres pouvoirs internationaux détenus respectivement par les Etats et les groupements d’Etats (les organisations internationales). Il importe de mentionner que les limites de l’indépendance d’une juridiction portent atteinte à un droit humain fondamental, en l’occurrence, le droit à un procès équitable.
Nous analyserons le fonctionnement de la Cour en nous intéressant essentiellement aux garanties d’indépendance conférées aux magistrats (1ère partie), avant de nous focaliser sur les insuffisances statutaires, c’est-à-dire prévues par le Statut fondateur de la Cour, et qui en compromettent sensiblement l’indépendance.
- La CPI : Une autorité judiciaire permanente.
Depuis la création des tribunaux ad hoc de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda[9], en passant par l’adoption à Rome du Statut de la Cour Pénale Internationale, jusqu’à la plus récente expérience de la Special Court for Sierra Leone, les institutions judiciaires internationales pénales sont intervenues pour changer considérablement le visage du Droit international. Ce qui nous intéresse, le plus, est que le DIH est brusquement sorti de l’oubli où il était plongé depuis Nuremberg et Tokyo. En l’intervalle de quelques années, les juges des différents tribunaux pénaux internationaux ont donné une résurrection remarquable au DIH, en codifiant et en adaptant la coutume internationale que le processus cumulatif de lutte contre les atrocités des conflits armés a façonnée et enrichie depuis le 19ème siècle[10].
Si les tribunaux ad hoc procèdent d’un accord bilatéral engageant généralement l’ONU et l’Etat dans lequel se sont produits les crimes nécessitant l’intervention desdits tribunaux, la CPI se distingue par son caractère d’autorité judiciaire permanente.
- Une troisième catégorie des sujets de Droit international.
Aux termes de l’article 4 du Statut de Rome, la CPI a la personnalité juridique internationale, et constitue, de ce fait, un sujet de Droit international. Malgré le fait qu’elle soit le résultat d’un traité inter-étatique, donc, titulaire, d’emblée, de la qualité d’organisation internationale (OI), le Statut a, tout de même, pris le soin de rappeler que la Cour est une personne juridique internationale indépendante. Cela atteste du souci, ayant sillonné l’esprit de ces créateurs, quant à la consécration de son existence juridique vu son rôle d’instrument juridique de mise en œuvre de l’individualisation du régime coercitif en Droit international après avoir établi, force est de le rappeler, le régime indemnitaire avec la codification de la responsabilité internationale de l’Etat et de l’Organisation Internationale.
La Cour se compose de dix-huit (18) juges, choisis parmi les personnes disposant d’une expérience reconnue dans le domaine du Droit pénal, et jouissant d’une haute considération morale. Les Etats proposent, donc, des candidats dont les profils correspondent aux emplois juridictionnels supérieurs conformément à leurs régimes juridiques locaux. Aussi, le régime applicable à la candidature au poste de juge de la Cour Internationale de Justice (CIJ) s’applique aux candidatures aux postes juridictionnels de la CPI.
Les listes des candidats remplissant les conditions exigées ainsi que le déroulement des élections sont réglés par l’Assemblée Générale des Etats-Parties. L’élection des juges prend en considération les critères suivants :
- La notoriété académique, professionnelle et morale ;
- La représentation géographique ;
- La parité.
A noter que l’article 48 du Statut accorde aux juges, de fond et ceux rattachés au bureau du Procureur, les immunités et les privilèges reconnus aux chefs de missions diplomatiques pour leur permettre d’accomplir impartialement leurs missions[11]. Il convient de souligner, dans ce sillage, que nul ne peut nier que l’indépendance constitue le pivot de l’autorité judiciaire dans la mesure où elle conditionne le sort de son rôle. Si l’indépendance du juge est insuffisamment protégée, la justice, dans son entièreté, s’effondre. Comme on l’à précédemment évoqué, les magistrats de la Cour sont proposés par les Etats-Parties, d’où le risque potentiel d’une influence. C’est la raison pour laquelle, le Statut a prévu des mécanismes ayant pour but la préservation de l’indépendance des juges :
L’élection : elle nécessite un quorum transversal renforçant la légitimité du juge. En conséquence, celui-ci doit avoir la confiance d’un grand nombre d’Etats-Parties. Toutefois, ce mécanisme peut déboucher sur des résultats opposés à l’objectif ayant présidé à son adoption, parce qu’il permet aux Etats d’établir des arrangements sur les personnes à proposer aux postes juridictionnels ;
Le mandat long et non renouvelable : ainsi, une fois élue, le juge sait qu’il ne sera pas reconduit et, du coup, il peut se distancier de l’Etat l’ayant proposé.
Cependant, l’Etat conserve une influence non négligeable qui se manifeste dans le pouvoir propositionnel qu’il détient de manière exclusive. Ainsi, l’établissement des listes de candidats dépend de la volonté des Etats. En plus, le procédé électoral, vu le quorum exigé pour obtenir le poste, peut se voir influencer par des arrangements tacites comme soulevé ci-dessus.
- L’adhésion sélective à la théorie du fait antécédent.
D’abord, il faut mentionner que la compétence de la Cour s’étend sur les crimes les plus graves touchant à l’ensemble de la communauté internationale. Aussi, il est à préciser que la Cour est juge de sa compétence dans la mesure où le Statut l’habilite à vérifier elle-même la recevabilité de l’action avant d’en examiner le fond. L’irrecevabilité est régie par l’article 17 selon lequel la Cour rejette une affaire :
- Objet d’enquête par un Etat ;
- Ayant été jugée auparavant ;
- Reclassée sans suite par l’Etat compétent à y enquêter ;
- Ou n’est pas suffisamment grave pour justifier le déclenchement d’un procès pénal international.
De plus, et à l’instar des juridictions répressives nationales, la Cour a une compétence matérielle (ou à raison de la matière), territoriale et temporelle.
- La compétence matérielle
En vertu de l’article 5 du Statut, la Cour a compétence pour juger les crimes suivants :
- Le crime de génocide défini ;
- Les crimes contre l’Humanité ;
- Les crimes de guerre ;
- Le crime d’agression.
En Droit international général, l’agression constitue un fait générateur de la responsabilité internationale de l’Etat, mais la condamnation de l’Etat agresseur nécessite l’intervention d’organes politiques, notamment, le Conseil de Sécurité de l’ONU, d’où l’apport cardinal de son incrimination par le Statut de Rome. Ainsi, la préparation d’une agression contre un Etat ou assortie d’une atteinte manifeste à la Charte onusienne peut engager la responsabilité pénale internationale de son auteur. Aussi, le Statut a arrêté la nomenclature des comportements constituant des crimes d’agression même s’ils sont précédés par une déclaration de guerre[12].
- La compétence temporelle :
Conformément à l’article 11 du Statut, la Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa juridiction et commis après l’entrée en vigueur de son Statut. Cela signifie que le Statut de la CPI n’a pas d’effet rétroactif. Les dispositions du Statut ne sont opposables à l’Etat qu’à partir de la date d’entrée en vigueur du Statut conformément au Droit interne dudit Etat.
- La compétence territoriale et personnelle :
La compétence de la Cour s’étend sur les crimes, rentrant dans la matière criminelle qu’elle sanctionne, commis sur le territoire d’un Etat-Partie, par un ressortissant d’un Etat-Partie. De surcroit, La Cour est compétente pour poursuivre les personnes physiques sauf si elles étaient âgées de moins de 18 ans au moment de la commission du prétendu crime.
Toutefois, si l’action de la Cour se base sur une saisine du Conseil de Sécurité de l’ONU, la limitation territoriale s’efface au profit du rôle de régulateur universel de paix et de sécurité internationales que la Charte onusienne octroie au Conseil de Sécurité. Ce dernier, étant le délégataire de la mission de la protection de l’intérêt général universel, habilite la Cour, s’il la saisit, à étendre sa compétence sur l’affaire objet de la saisine même si ladite affaire ne se soumet pas aux exigences de sa compétence territoriale. En d’autres termes, avec le concours du Conseil de Sécurité, la Cour outrepasse sa compétence territoriale au nom du maintien des intérêts de l’Humanité se trouvant d’ailleurs à l’origine de sa création. Il importe dans ce sillage de préciser que la Cour peut être saisie par :
- Un Etat-Partie, sur son initiative ou sur renvoi ;
- Le Conseil de sécurité de l’ONU agissant sur la base du Chapitre VII de la Charte onusienne :
Ce mécanisme de saisine permet de hisser la pénalisation à un moyen coercitif, à caractère foncièrement judiciaire, contre les Etats dont les agissements mettent à mal la paix mondiale. D’aucuns estiment, en revanche, que ce mécanisme permet une potentielle politisation de la Cour en ce sens qu’elle la place devant le fait qu’un Etat prépondérant au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, à savoir les USA, la Chine ou la Russie, puisse la saisir sans qu’il en soit un Etat-Partie.
- Une enquête enclenchée par le procureur :
Celui-ci doit s’assurer de la véracité des informations qui lui ont été communiquées. A cet effet, il peut contacter les OI, les organes de l’ONU, les ONG, des sources qu’il estime adéquates ou les Etats-Parties. S’il s’avère que l’affaire a une base raisonnable, il adresse une demande d’autorisation à la Chambre préliminaire. Aussi faut-il mentionner que le Statut accrédite les principes généraux de la procédure et du Droit pénaux, à savoir :
- La présomption d’innocence et éléments de preuve ;
- Le droit à la défense ;
- Les débats contradictoires ;
- La collégialité ;
- Le double degré de juridiction et la non-rétroactivité ;
- La protection et l’indemnisation des victimes.
En précisant expressément que les crimes relevant de la Cour ne se prescrivent pas, le même texte a eu le mérite de clarifier la question du Droit applicable aux affaires examinées. En effet, l’article 21 énonce que : « la Cour applique : en premier lieu, le présent Statut, les éléments des crimes et le Règlement de procédure et de preuve. En second lieu, selon qu’il convient, les traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés. À défaut, les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde, y compris, selon qu’il convient, les lois nationales des États sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime, si ces principes ne sont pas incompatibles avec le présent Statut ni avec le droit international et les règles et normes internationales reconnues. La Cour peut appliquer les principes et règles de droit tels qu’elle les a interprétés dans ses décisions antérieures. L’application et l’interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations telles que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe tel que défini à l’article 7, paragraphe 3, l’âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la conviction, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre qualité.».
Il s’ensuit que la Cour, pour organiser son travail proprement contentieux, a précisé ses normes de référence en veillant à reconnaitre, chaque fois qu’elle le juge appropriée, le fait antécédent à ses anciennes décisions.
- Une mi-juridiction.
Le juge est chargé de dire le Droit, donc, de soumettre le comportement de l’acteur politique à une certaine causalité plus ou moins rigide. Or, la gestion des affaires de la Cité, qu’elle soit interne ou internationale, n’est pas l’apanage des textes. Elle est influencée, en profondeur, par l’évolution des intérêts et la fluctuation de leurs substances. Les rédacteurs du traité fondateur de la CPI ont pris une attention particulière sur l’appréciation de l’opportunité d’action par les Etats membres, soucieux de leurs intérêts, parmi lesquels figure, d’évidence, celui d’y appartenir. Par voie de conséquence, tous les crimes et exactions contre le DIH ne sont pas machinalement, dirions-nous, déférables devant la Cour.
- Le dualisme emprunté au Droit classique des organisations internationales.
Il y a bien des décennies, le professeur Maurice TORELLI avait écrit les propos édifiants suivants : « Les tensions entre l’Humanité et la souveraineté se retrouvent tant sur le plan des modalités de contrôle qu’à celui de la sanction »[13]. Le dualisme, se rapprochant dans les faits à un dilemme entre d’une part l’Etat, cet hégémon du Droit international refusant d’en devenir le parent pauvre, et l’Humanité au nom de laquelle veut se prononcer une juridiction d’une part, s’est profondément répercuté sur le régime juridique de la CPI. En effet, il lui assigne un objectif ambivalent.
D’un coté, la juridiction se veut respectueuse de la souveraineté des sujets originaires du Droit international, et de l’autre, elle aspire à assurer la suprématie réelle et normative des droits de l’Homme et du DIH en soumettant ceux qui les violent à des coercitions effectives. C’est la raison pour laquelle, l’examen des affaires et l’édiction des mesures coercitives qu’elles soient de fond ou de procédure reposent sur une coopération étroite entre la Cour et les organes juridictionnels des Etats, sans omettre le Conseil de Sécurité de l’ONU que le Statut habilite à saisir la Cour même si le pays concerné ne l’a pas ratifié. Cette situation se conforme au principe du consensualisme du Droit international qui se fonde, comme le souligne à juste titre le professeur Mohammed BEDJAOUI, sur « la coordination plutôt que sur la subordination »[14].
- L’omnipotence du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’article 16 du Statut dispose qu’« aucune enquête ne peuvent être engagée ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande dans ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies », jusque-là le pouvoir d’appréciation consenti à l’organe politique de l’ONU demeure amoindri dans la mesure où il est conditionné par un délai. Or, le même article approfondit les pouvoirs du Conseil de Sécurité en précisant, expressément, que la demande de sursoir à enquêter ou à poursuivre « peut être renouvelé par le Conseil dans les mêmes conditions ». Il s’ensuit que « la position de membre permanent du Conseil confère un pouvoir considérable dans la détermination de l’agenda de la justice internationale »[15]. Ainsi dans l’affaire du prétendu génocide de Darfour, le Procureur n’a demandé l’édiction du mandat d’arrêt contre le chef de l’Etat soudanais qu’après que le Conseil de Sécurité ait saisi la Cour.
La question posée par les contradicteurs de la position de la Cour peut être formulée comme suit : les renseignements collectés par le Procureur étaient-ils insuffisants, ou au contraire, assez raisonnables pour solliciter le mandat d’arrêt et ce sans l’intervention d’un organe politique? La question a accouché de deux réponses antagoniques : d’un coté, les partisans de la sélectivité de l’action du Conseil de Sécurité font intervenir l’urgence humanitaire et de l’autre, ceux qui en revendiquent une application équitable.
Par ailleurs, l’article 10 du Statut dispose qu’« aucune disposition du présent chapitre ne doit être interprétée comme limitant ou affectant de quelque manière que ce soit les règles du Droit international existantes ou en formation qui visent d’autres fins que le présent Statut ». A la première lecture, nous pouvons constater que les rédacteurs de l’acte fondateur de la Cour ont essayé d’adopter une conjugaison sinusoïdale entre la souveraineté des Etats et les exigences de la lutte contre l’impunité justifiées par des raisons humanitaires. Ainsi, les conventions et traités bilatéraux et multilatéraux portant sur la coopération judiciaire et pénale entre Etats resteront opérants et par conséquence, les Etats, dans le but « non affiché » de déroger à la compétence de la Cour, peuvent conclure des accords internationaux liés au domaine pénal. A titre d’exemple, les U.S.A « ont engagé un combat juridique pour soustraire leurs nationaux à sa (la CPI) juridiction, en concluant des accords bilatéraux avec les Etats-Parties qui s’y prêtaient »[16].
Conclusion.
La mise en place de la Cour pénale internationale constitue certes une avancée indéniable dans le processus d’individualisation du Droit international en vue d’un monde pacifié.
Le bipolarisme de la Guerre froide a accouché d’un concept de paix dans lequel la priorité était conférée à la pacification des relations inter-étatiques par des alliances, des compatibilités et des accords foncièrement politiques.
Or, depuis l’effondrement du communisme, les faits ne cessent de montrer que les régimes non démocratiques, immobiles et hermétiques génèrent des atteintes sensibles à la stabilité planétaire, d’où la nécessité de démocratiser les régimes politiques ou, selon les alliances, les inciter à adopter des ouvertures politiques et économiques significatives. L’utilisation de l’économie est apparue comme le premier outil, ainsi se fait la conditionnalité de l’aide. Pour s’y adapter, la plupart des dirigeants du Sud ont essayé d’instaurer une conjugaison assez particulière entre l’autoritarisme politique et un paysage économique relativement libre.
Les pressions internes et internationales ont imposé aux régimes sclérosés l’acceptation de nouveaux acteurs politiques et des procédures électives pour arriver au pouvoir. Sous l’époustouflant effet de l’évolution des sociétés civiles et des mobilisations collectives pilotées par des initiatives individuelles le palliatif économique et social à la démocratie s’affaiblit pour se solder au final par des manifestations ayant détrônés des régimes considérés comme immuables et indéboulonnables, leurs chefs ont fait l’objet de mandats d’arrêt pour avoir perpétré des crimes contre l’Humanité. La Cour s’est donc notoirement distinguée par son travail juridictionnel et les contenus se voulant justicialistes qu’elle a donnés à son Statut.
Cependant, des craintes, loin d’être irrationnelles ou conspirationnistes faut-il l’observer, ont été fréquemment soulevées quant à l’effectivité de l’indépendance de la Cour. En effet, le Statut de Rome octroie au CS de l’ONU un large pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites en ce sens qu’il peut demander à la juridiction d’arrêter ses enquêtes sur une ou plusieurs affaires. Ce pouvoir aurait été « plus acceptable » si les membres permanents du Conseil avaient ratifié le statut de Rome, c’est le cas que la réalité effectivement rend fictif dans la mesure où la Chine, la Russie et les USA n’ont pas adopté le traité fondateur de la Cour et bénéficie de surcroit d’un subterfuge juridique leur permettant d’échapper à sa compétence. Ledit subterfuge se concrétise dans la possibilité offerte aux Etats de conclure des accords synallagmatiques portant sur la coopération judiciaire et du coup faire intervenir la disposition conventionnelle proscrivant l’immixtion de la Cour dans les accords et traités inter-étatiques encadrant le même objectif que celui poursuivi par le Statut, en l’occurrence, la justice pénale.
Voilà donc une dyscinésie à laquelle devrait répondre la justice internationale : l’Etat, encore qu’il n’ait pas ratifié son Statut, peut tantôt s’en prévaloir, tantôt y déroger.
[1] Nous empruntons ces deux termes « superstructurel » et « holiste » à la littérature relative à la théorie développementaliste, plus précisément sa répercussion sur le Droit international, selon laquelle la régulation des relations internationales s’assure fondamentalement par les Etats.
[2] Rappelons que la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI) affirme dans l’affaire du « LOTUS » que « les règles de Droit liant les Etats procèdent, donc, de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de Droit, et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes, ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l’indépendance des Etats ne se présument, donc, pas ». En suivant ce raisonnement, la CPJI s’est profondément inspirée de l’ordre westphalien fondé sur le consensualisme comme évoqué en haut. Voir : Publications de la Cour Permanente de Justice Internationale, Série A – N° 10, le 7 septembre 1927, Recueil des arrêts, Affaire du « Lotus » – Objet de l’arrêt n° 9-, p : 18.
[3] L’expression « mobilisations collectives » est empruntée au sociologue français Alain TOURAINE qui s’est profondément intéressé au rôle de l’individu dans la fabrique des changements sociaux en développant une notion d’utilisation récurrente, à savoir, « les nouveaux mouvements sociaux » (NMS). Ceux-ci sont marqués par deux facteurs déterminants : l’importance cardinale prodiguée à l’initiative individuelle d’une part, et une forte demande du Droit et de la justice en tant que cadre propice à l’épanouissement individuel et à la stabilité collective d’autre part. Au final, on a une tendance revendicative particulièrement soucieuse du Droit et de la justice et qui a exercé une influence considérable sur le Droit international public, donc, sur les Etats, pour se voir reconnaître le droit de saisine individuelle des mécanismes de suivi du respect des droits humains et pouvoir déférer devant la Cour pénale internationale les responsables et individus ayant violé les règles du Droit des conflits armés.
[4] Voir dans ce sens, PONTHOREAU Marie-Claire, Trois interprétations de la globalisation juridique : approche critique des mutations de Droit public, in L’Actualité juridique. Droit administratif (AJDA), n°1, 2006, pp : 20-25
[5] Notons, avec intérêt, que le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) est une institution privée à laquelle le Droit international a reconnu un statut particulier dans le contrôle de la mise en œuvre des règles protectrices.
[6] Voir dans ce sens, LANKARANI El-ZAIN Leila, Les contrats d’Etat à l’épreuve du Droit international, Coll. Droit international, Bruxelles, Editions Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles, 2001, 572p.
[7] Il importe de remarquer que « la compétence nationale », terme évoqué par la Charte des Nations Unies et renvoyant à la sphère de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Etat en sa qualité de sujet de Droit international, est appelée en littérature française : « domaine réservé ». Historiquement, le « domaine réservé » n’est pas étranger à la souveraineté nationale, laquelle souveraineté fut proclamée par les royautés européennes à l’égard du pouvoir ecclésiastique. Le domaine réservé étant, force est de le remarquer, la sphère d’action politique détenue par le dépositaire du pouvoir temporel, en l’occurrence, le monarque. Il est par conséquent observable que l’esprit de la Charte des Nations-Unies, en reconnaissant la compétence nationale, n’est pas excentrique vis-à-vis de la crainte émise par les français face à une éventuelle internationalisation du Droit public interne.
[8] Voir dans ce sens JOUANNET Emmanuelle, Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions internationales : la consolidation d’un tiers pouvoir international ?, in Indépendance et impartialité des juges internationaux, collection Contentieux International, sous la direc. de Hélène RUIZ FABRI et Jean-Marc SOREL, Editions A. Pedone, 2010.
[9] Ils sont respectivement compétents pour connaitre des crimes commis dans l’ex-Yougoslavie (y compris à l’occasion de l’affaire de Kosovo), et pour ceux liés à l’affaire du Rwanda (Rés. 808 du 22 février 1993 et Rés. 827 du 25 mai 1993). Ces tribunaux, dotés d’une compétence rétroactives, constituent des organes subsidiaires du Conseil de Sécurité de l’ONU, appuyés par son autorité et découlant de circonstances spéciales les intégrant dans le processus de règlement pacifique des conflits. (Cf : J. Combacau, S. Sur, « Droit international public », 9ème édition, p : 677).
[10] COTE Luc, La justice internationale : vers un resserrement des règles de jeu, site officiel de la Cour pénale internationale :
http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc_861_cote_fre.pdf (Consulté le lundi 10 décembre 2015).
[11] L’article 48, 2ème alinéa du Statut de Rome énonce que : « les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier jouissent, dans l’exercice de leurs fonctions ou relativement à ces fonctions, des privilèges et immunités accordés aux chefs de missions diplomatiques. Après l’expiration de leur mandat, ils continuent à jouir de l’immunité contre toute procédure légale pour les paroles, les écrits et les actes qui relèvent de l’exercice de leurs fonctions officielles ».
[12] Le crime d’agression est (alors) un crime individuel, objet de poursuites pénales dirigées contre des individus. Ce type d’incrimination est particulièrement difficile à mettre en œuvre, et notamment à dissocier de l’agression comme action organisée de l’Etat lui-même (« la Cour pénale internationale en débat », articles de L. Condorelli, J.A. Carillo-Salcedo, S. Sur, RGDIP, p : 7-45). Cité par J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, op.cit, p : 624.
[13] Cf. TORELLI Maurice, Le Droit international humanitaire, PUF, Que sais-je, 1985.
[14] Cf. BEDJAOUI Mohammed, Le Droit international : bilan et perspectives, Pédone, UNESCO, 1991.
[15] Le COCONNIER Marie-Laure et POMMIER Bruno, L’action humanitaire, Que sais-je, 2017, p : 97.
[16] COMBACAU, SUR, Op.cit, p : 678.